À PARIS - N°68 - Hiver 2018-2019 - 15

P A R I S S E T R A N S F O R M E * 15

« Avant 2030,
les cyclistes seront
plus nombreux que
les automobilistes »

Selon vous, sommes-nous au seuil d'un
profond changement dans l'usage des modes
de déplacement ?
Il n'y a jamais de changement brusque en matière
de mobilité, mais des tendances lourdes et de lents
retournements. De 1900 jusqu'aux années 1980,
Paris a connu une hausse considérable du trafic
automobile qui a fini par chasser presque entièrement
les cyclistes de la rue. Vers 1990, cette tendance s'est
retournée et le trafic baisse depuis lors, au point qu'il
est aujourd'hui presque deux fois moindre, sans
d'ailleurs que l'économie parisienne en soit pour
autant affectée. Dans le même temps, les
déplacements à vélo ont au contraire été multipliés
par dix.

L'un des arguments principal en faveur de la
pratique du vélo est économique, affirmezvous dans votre livre...
Le vélo est plus cher que l'on croit et la voiture moins
chère qu'on le dit. Mais il est vrai que, si un vélo
remplace une (deuxième) voiture, le bénéfice est
conséquent. Les économies sont encore plus
considérables pour la collectivité. On peut estimer
grossièrement qu'en vingt-cinq ans, la politique
cyclable parisienne aura permis d'économiser la
construction d'une nouvelle ligne de métro. Tous
ceux qui s'énervent contre les cyclistes qui
envahissent les rues devraient au contraire se réjouir,
parce qu'ils évitent ainsi des hausses d'impôts
locaux.

« En vingt-cinq

Le développement du vélo à Paris
ans, la politique Le vélo favoriserait-il une société
s'inscrit-il dans un mouvement plus cyclable fera
plus égalitaire, plus
global ?
démocratique ?
économiser une Il y contribue sans aucun doute. Le
Ce que vit Paris n'a rien d'exceptionnel.
nouvelle ligne
Toutes les grandes villes du monde
vélo donne non seulement accès à une
occidental connaissent une évolution
mobilité peu coûteuse pour tous, mais
de métro. »
semblable : baisse de la circulation des
qui rend aussi plus autonome et moins
voitures et hausse des déplacements en transports
dépendant de la technologie. Cet engin reste l'un des
publics, à pied et surtout à vélo. Les raisons sont
rares objets complexes que l'on peut encore réparer
toujours les mêmes : des mesures visant à rééquilibrer soi-même ou mieux, dans un atelier participatif et
l'usage des modes de déplacement au profit des
solidaire. Et puis, à vélo, il faut se fatiguer pour
modes alternatifs à l'automobile, afin de réduire les
avancer et tout le monde est à peu près à égalité
nuisances (pollution, bruit et accidents) et de
devant l'effort à fournir.
reconquérir les espaces publics.
Vous estimez que la part du vélo dans
Quelles sont les principales idées reçues qui
l'ensemble des déplacements urbains pourrait
freinent la pratique du vélo à Paris ?
atteindre les 40 % en 2050. Cela pourrait être
Il y en a d'innombrables, et elles tombent peu à peu,
le cas dans une capitale comme Paris ?
avec l'extension de l'usage qui démontre qu'elles sont
Non, car à Paris, le métro est bien maillé et très
fausses. On ne pourrait pas rouler sous la pluie ou en
efficace. C'est un concurrent redoutable. La ville est
hiver, ni rester élégant à vélo, ni transporter quelques
aussi très dense (deux fois plus que Londres ou
kilos de courses, ni garder un vélo sans se le faire
Berlin), ce qui favorise la marche, qui représente déjà
voler, ni prendre un enfant sur le porte-bagages, ni
plus de la moitié des déplacements. En revanche, il
rouler autant que les Néerlandais, ni tenir en
est très probable, au rythme actuel de l'évolution des
équilibre après 60 ans ou se déplacer sans casque...
pratiques de déplacement, que les cyclistes seront
Mieux vaut en rire en regardant ce qui se passe aux
avant 2030 plus nombreux que les automobilistes
Pays-Bas, au Danemark ou simplement en
dans les rues de Paris, comme c'est déjà le cas dans
Allemagne.
plusieurs villes d'Europe aujourd'hui.
Hiver 2018-2019 - À P A R I S

Émilie Chaix / Mairie de Paris

INFOS ↦ Le Retour
de la bicyclette,
Frédéric Héran,
Éd. La Découverte,
255 pages, 10 euros.

Frédéric Héran,
économiste et urbaniste à l'université
de Lille, spécialiste des questions
de déplacements urbains.

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