ESCP ALUMNI magazine #202 - Juin 2023 - 56

Culture ❙ Regards sur le monde
les villes, tu trouves un temple indien, une
mosquée et une église. Il y a une ferveur
religieuse assez exceptionnelle, notamment
lors des jours de fête. Dernièrement,
je suis allée assister à une fête indienne qui
s'appelle Thaipusam. C'est une cérémonie
d'expiation des péchés et de renouveau :
les gens se percent la langue, les joues, se
mettent des piercings...visuellement, c'est
fort. J'ai aussi été marquée par la fête de
Holi : tout le monde s'habille en blanc et
balance partout des pigments colorés...
plus tard, je ne parle pas le chinois couramment.
Puis, tu dois aussi composer avec un
grand écart culturel : on ne connaît pas les
mêmes musiques, les mêmes films, on n'a
pas du tout les mêmes références culturelles,
on n'a même pas le même langage corporel,
en fait ! En Malaisie, où je vis aujourd'hui,
c'est beaucoup plus simple : les gens parlent
anglais, connaissent les Spice Girls etc...
Parle nous de la Malaisie justement.
Tu y vis depuis 2022 ?
C.P. : Oui, mon mari a eu une opportunité
professionnelle à Kuala Lumpur, donc on a
décidé de s'y installer. D'abord, il faut savoir
que la Malaisie est historiquement un lieu
majeur du commerce d'épices. Le pays a
été un lieu de passage pour plein de communautés
différentes : des musulmans,
des Indiens, des Chinois, des étrangers de
tous bords...Aujourd'hui, le pays est un
melting pot de couleurs, de langues, d'influences
diverses. Par exemple, quand tu
vas au théâtre, les acteurs vont commencer
la représentation en Malais, puis opter pour
le chinois, avant de passer à l'anglais.
Culturellement et sociologiquement,
ça n'a rien à voir avec la
Chine ?
C.P. : C'est fondamentalement différent, oui.
En Chine, les gens veulent réussir et vite,
l'argent est roi. En Malaisie, les gens sont
beaucoup moins axés sur la réussite matérielle.
Ils valorisent davantage leur bonheur
personnel, le fait d'avoir une vie agréable et
équilibrée. C'est un pays très spirituel aussi,
le culte y est très important. Dans toutes
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La Malaisie est une mosaïque
multiethnique, mais les Malais
de souche bénéficient encore
d'avantages non négligeables non ?
C.P. : Effectivement. Les Malais - qui représentent
environ 70 % de la population -
tirent parti d'un système de discriminations
positives : ils ont des places réservées dans
les administrations, leurs emprunts à la
banque ont des taux avantageux, c'est moins
cher pour eux d'accéder à la propriété...Ça
crée des tensions énormes avec les sino-malaisiens,
qui sont au cœur du dynamisme
économique du pays, travaillent très dur,
mais restent désavantagés par l'état. Idem
pour les Indiens qui ont tendance à occuper
des postes plus subalternes. Ces minorités
se sentent flouées, considérées comme des
sous-citoyens.
Sur une note complètement
différente, peux-tu nous parler de
ta vie à Kuala Lumpur ? C'est une
grande ville, mais ça a dû te changer
de la démesure permanente de
Shangaï, non ?
C.P. : Le rythme est plus posé et, comme je
te le disais, la ferveur religieuse crée quelque
chose d'un peu magique, d'un peu éthéré
dans l'atmosphère. Ce qui participe aussi
à cela, c'est la proximité avec la nature. Il
y a des singes qui se balancent dans des
arbres à côté de chez moi, il y a énormément
d'oiseaux, des parcs un peu partout...
Plus globalement, la Malaisie a conservé
un territoire naturel important : c'est un
pays séparé en deux, avec d'un côté la partie
collée à Singapour, de l'autre, l'île de
Bornéo. Là-bas, il y a une faune et une flore
incroyable, une jungle luxuriante, des tribus
indigènes...Culturellement et géographiquement,
c'est un pays assez unique, mais
dont on parle étrangement assez peu.
ESCP Alumni Magazine numéro 202 ❙ JUIN 2023
Tu aimerais participer à valoriser la
culture malaise ?
C.P. : Complètement. Je voudrais même
monter mon agence là-bas. Je suis en train
de me créer des réseaux sur place, l'idée
serait d'œuvrer au développement de l'économie
culturelle et créative malaisienne.
A terme, il y a du potentiel pour développer
une offre touristique à destination d'un
public très ciblé, notamment autour de thématiques
écologiques, de la nature, et de la
diversité culturelle incroyable du pays.
Est-ce que le punk rock a aussi de
l'avenir à Kuala Lumpur ?
C.P. : Là-bas, j'ai repris le chant lyrique et
j'ai intégré une chorale amateure. J'aimerais
bien retrouver un groupe de rock, mais c'est
une catastrophe à la radio, ils ne repassent
que des reprises des années 80.... Cela
dit, j'ai découvert une formation locale,
Monolock. Ça m'évoque Radiohead en
version malaise. Ils mériteraient sans doute
qu'on parle davantage d'eux. C'est un peu
à l'image du pays : encore un peu confidentiel,
mais avec un sacré potentiel.
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