ESCP ALUMNI magazine #202 - Juin 2023 - 20

Dossier ❙ Interview croisée
Propos recueillis par Arthur Jeanne
« Nos expériences n'auront
pas été vaines »
Geneviève CAUSSE-BROQUET a été la première femme professeure à ESCP,
Joëlle LE VOURC'H (ESCP 73) la première étudiante. Les deux pionnières nous racontent
leurs expériences respectives, les épreuves qu'elles ont dû affronter et les portes qu'elles ont
contribué à ouvrir.
l'ESCP à la rentrée 1971, en tant que professeur
de gestion, à mi-temps puisque j'étais
par ailleurs enseignante à l'université.
Geneviève CAUSSE-BROQUET
première femme professeur à ESCP
Joëlle Le Vourc'h : De manière générale,
nous étions dans un contexte post
soixante-huitard. Tout a été accéléré avec
mai 68, parce que pendant les assemblées
générales les étudiants demandaient la
mixité. Les grandes écoles de commerce
parisiennes étaient alors réservées aux
hommes. Si on était une fille, Il y avait
HEC JF où les jeunes filles apprenaient -
en plus de la gestion - la sténo et la dactylo...L'ESCP
qui venait d'être indépendante
par rapport aux autres « sup de co » a suivi
les demandes des étudiants et a entrouvert
ESCP aux jeunes filles dès la rentrée 70.
Joëlle LE VOURC'H (ESCP 73)
première étudiante ESCP
Dans quel contexte êtes-vous
arrivées à ESCP ?
Geneviève Causse-Broquet : La Fondation
nationale pour l'enseignement de la gestion
(FNEGE), qui a vu le jour en 1968, avait pour
objectif de créer un corps professoral en
sciences de gestion. Pour cela, elle accorda
des bourses à ceux qui étaient volontaires
pour suivre une formation outre-Atlantique,
formation qui durait de 12 à 18 mois. J'ai été
candidate pour le premier départ qui a eu
lieu en 1970. A mon retour, j'ai été recrutée à
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Geneviève, vous avez la sensation
d'avoir apporté quelque chose
de nouveau dans l'enseignement
à votre arrivée ? D'avoir eu des
relations différentes avec les
étudiants ?
GCB : Quelque chose de nouveau certainement,
le problème est qu'il a fallu adapter
le contenu des cours au contexte français.
En tant que femme, il me semble avoir eu
des relations différentes avec les étudiants.
Je vous donne un exemple. Il y a une
dizaine d'années, je suis allée au Maroc et
j'ai retrouvé un ancien élève. Au cours de la
conversation il a souhaité me faire part d'un
souvenir. « Nous avions cours le lundi à 8 h du
matin, j'étais assis au premier rang, vous vous
êtes mis devant moi et en me regardant bien
dans les yeux vous m'avez dit : « Qu'est-ce qui
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ne va pas ... , vous n'avez pas l'air heureux,
vous avez mal dormi ? Est-ce que vous vous
rendez compte de la chance que vous avez : vous
êtes jeune, vous êtes à Paris, il fait beau, et vous
êtes à l'ESCP ». Vous ne pouvez pas savoir
comme ça m'a fait du bien ».
La classe pour moi, c'était un peu comme
une famille. J'étais sans doute plus dans
l'empathie que mes collègues. Il m'arrivait
souvent de passer des soirées avec mes étudiants
de troisième année et ça, je crois que
c'est spécifique. Ça n'est pas pour ça que je
leur mettais de meilleures notes. Attention !
Avez-vous rencontré des blocages
en tant que « première femme »
professeure ou en tant que
« première femme » élève ?
GCB : Je n'ai pas le souvenir d'avoir été
confrontée à des blocages en tant que
femme. Il faut dire que le contexte était
particulier. Jusqu'à cette époque les cours
étaient généralement dispensés par des
professeurs de l'Enseignement Technique
qui assuraient des vacations. Le fait d'être
sous contrat, et sans doute la reconnaissance
d'une certaine légitimité grâce aux
diplômes et à l'expérience professionnelle
antérieure, ont joué un rôle. Je n'ai pas le
souvenir d'une quelconque discrimination
de la part de mes collègues masculins ou
de mes étudiants
JLV : Pour moi ça a été difficile, certains
étaient favorables à l'arrivée de filles à
l'école, d'autres étaient totalement contre,
aussi bien parmi les professeurs que les
élèves. Le nombre d'admis étant limité à

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