ESCP ALUMNI magazine #202 - Juin 2023 - 17

Dossier ❙ Femmes, hommes : Au bureau, tous égaux ?
Qui questionne " le management au
masculin " ? On ne devrait pas interroger
les stéréotypes managériaux féminins,
sans le faire pour les masculins.
Alyxe LOFFICIAL (ESCP 99)
masculins, confirme crûment Patricia Delon
(ESCP 87), PDG chez RATP Travel Retail. On
a tendance à essentialiser les qualités des uns et
des autres. Cette essentialisation - comme tous
les stéréotypes - est à la fois facile, réductrice
et un peu paresseuse intellectuellement. »
Fraîchement nommée au poste de Directrice
Générale de Leboncoin, Amandine De
Souza (MiM 04) souhaite aussi dégenrer
ce débat : « D'autant que je n'ai jamais été
directement managée par une femme. Ce qui ne
m'a pas empêchée d'adorer quasiment tous mes
managers hommes. » Poser la question d'un
encadrement au féminin demeure donc
délicat. Première observation : féminin ou
pas, le management semble évoluer. C'est
en tout cas l'observation d'une grande étude
publiée par Grandes Écoles au Féminin en
2018, intitulée « Le pouvoir n'a pas de genre ».
« Hommes et femmes de tout âge, de tout niveau
d'expérience et de tout secteur d'activité ont
émis de vraies critiques à l'égard d'un pouvoir
qui serait vertical, autoritaire. On lui reproche
également de transformer ceux qui l'exercent,
détaille Patricia Delon. Cette critique est très
importante chez les jeunes. Ils cherchent plus
d'inspiration dans le pouvoir. » Pour ce qui
est du genre, la présidente de 58 ans est
catégorique : si des différences existent,
elles ne résultent pas du féminin opposé
au masculin, mais bien d'un cheminement,
d'un parcours, d'une éducation et d'une
construction sociale liée aux femmes. « Je ne
crois pas au pouvoir des organes de reproduction
sur les qualités des uns ou des autres, affirmet-elle.
Je crois à l'expérience de vie. Pour ce
qui est du management et du pouvoir, celle des
hommes et des femmes n'est clairement pas la
même. Des femmes qui arrivent au pouvoir
ont un grand combat, doivent faire face à un
grand nombre de stéréotypes sur leur capacité
à faire. » Résultat : par nécessité, les femmes
développent des qualités d'adaptation,
de résilience à toute sorte de stress et de
difficultés. « Laisser parler son cœur, partager
ses doutes - pas de façon systématique bien sûr
-, laisser plus de place au questionnement, avoir
moins d'assurance et peut-être plus d'humilité,
moins d'ego aussi... c'est une force », estime
Amandine De Souza. Mais il est vrai que
mes méthodes de management, un peu
à contrepied de mes prédécesseurs - qui
étaient des hommes pour le coup -
déroutent parfois les équipes. »
Habituées à gérer plusieurs vies en même
temps, les femmes « ont aussi moins peur
de la crise », écrit Martine Renaud-Boulart
dans Management au féminin : promouvoir
des talents (Éditions Robert Jauze, 2005).
La vie d'une femme est loin d'être un long
fleuve tranquille : les règles, la maternité,
l'accouchement, la ménopause... « Ce sont
de grands changements, ajoute la chercheuse.
L'homme en connaît moins. » Et pour celles qui
n'ont pas d'enfants, beaucoup s'occuperont
de leurs parents. « La question du « care » dans
la vie est tout de même largement portée par
les femmes, analyse Véronique Tran, Dean
et Rectrice du campus de Berlin. « Cette
question a une influence importante sur nos
façons d'agir en général et impacte certainement
notre manière de manager. Si les hommes la
portaient davantage, ils développeraient sans
doute des qualités similaires. On peut d'ailleurs
constater que dans les cultures où le " care " est
partagé - par exemple dans les pays nordiques
-, les styles de management sont de facto plus
collaboratifs et collectifs. » Le management
serait donc propre à chacun et dépendrait
ESCP Alumni Magazine numéro 202 ❙ JUIN 2023
de nombreux critères : de son expérience,
de l'éducation et des biais inconscients
reçus, mais aussi de sa propre intelligence
émotionnelle. « Notre profil de personnalité
joue un rôle énorme, ajoute la professeure. Là
où deux femmes peuvent s'accorder sur l'équité,
la motivation et la collaboration pour un même
résultat final, les moyens pour y arriver vont
se dissocier. »
Pour un management mixte
Féminin ou masculin ? À l'heure où la
fluidité du genre bouscule les frontières
établies et les stéréotypes liés au sexe, poser
la question d'un management avec une
« touche féminine » peut sembler quelque
peu obsolète. Surtout, certains regrettent
que l'on aborde le management seulement
sous ce prisme. C'est le cas d'Alyxe
Lofficial (ESCP 99), fondatrice de Make
in Marketing : « Quand on dit " management
au féminin " , ça sous-entend qu'il y a un
management neutre, " normal " , donc " au féminin "
serait un cas spécial. Or, sans les femmes, le
management neutre devient principalement le
management par les hommes. Qui questionne
" le management au masculin " ? Le ferait-on
sans tout de suite crier aux clichés réducteurs ?
On ne devrait pas interroger les stéréotypes
managériaux féminins, sans le faire pour les
masculins. Il y a deux côtés. D'où l'intérêt
d'un questionnement mixte, qui reconnaît des
parcours et des styles souvent différents, mais
qui regarde le sujet " management et stéréotypes
de genre " pour tous en même temps. » Parler de
« management au féminin » risquerait donc
d'associer les femmes à une minorité. Or,
nombre d'entreprises intègrent la question
des femmes dans celle de la diversité, au
même rang que la multi culturalité. Patricia
❙ 17
ESCP ALUMNI magazine #202 - Juin 2023

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine #202 - Juin 2023
