ESCP ALUMNI magazine - #205 - Mars 2024 - 46

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Dossier ❙ Portrait
HEC sur une spécialisation qui s'appelait
Alternative Management, qui expliquait
tous les modèles économiques alternatifs
solides et pérennes. J'étais dans la classe de
Matthieu Dardaillon, et la coïncidence veut
qu'il soit lui aussi parti en Inde. Comme
moi, il avait été bouleversé par ce voyage
et à son retour, il a initié le projet Ticket for
Change. Il m'a donc proposé de le rejoindre.
J'ai mis un peu de temps à me décider,
pensant que je n'étais pas légitime, ou que
je n'avais pas assez d'expérience. Au final,
j'ai rejoint ce projet parce que c'était trop
évident pour moi.
Au départ, tu pensais vraiment
que c'était un projet qui pouvait
déboucher sur une carrière ?
J.B. : Je voulais faire de mon travail un levier
d'engagement et d'action politique. Quand
je me suis lancée avec Ticket for Change, je
savais que c'était un métier avec du sens,
par contre je voyais plutôt ça comme un test.
Je ne voyais pas trop le long terme, je crois
que je n'avais même aucune idée de tout
ce qu'une telle carrière requérait comme
connaissances. D'ailleurs, je me dis parfois
que j'aimerais refaire ESCP maintenant.
Je comprendrais beaucoup mieux un
cours de compta, de RH, d'organisation
et management. Quand j'ai intégré ESCP
Business School, je n'avais jamais mis
un pied dans une organisation. C'était
difficilement envisageable de me dire que je
pouvais entreprendre une carrière à impact
positif sur dix, quinze, vingt ans.
Justement, Ticket for Change a pour
but de promouvoir ces fameuses
« carrières à impact positif ».
Qu'est-ce que c'est exactement ?
J.B. : C'est comment tu fais de ta vie
professionnelle un moyen de t'engager
sur des sujets sociaux, environnementaux,
démocratiques, qui vont construire une
société plus pérenne, plus respectueuse
de la planète et de l'environnement. Il faut
donc d'abord se demander si ton travail va
contribuer à répondre à l'un de ces enjeux
sociaux. Va-t-il t'octroyer la majeure partie
de ta rémunération ? Car dans le secteur des
carrières à impact social positif, on considère
que tu es 30% moins bien payé que sur un
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métier classique, donc cela continue d'être
un frein à l'engagement. Enfin, est-ce que ta
motivation première, c'est de t'engager pour
le sens que ça a ? Si tu le fais juste pour ton
ego, ça ne marchera pas.
En dix ans, vous avez vu passer des
centaines de profils. Quelles sont
les histoires qui vous ont le plus
marquée ?
J.B. : On parle souvent de Yuka (une
appli qui permet de scanner les produits
alimentaires et cosmétiques en vue
d'obtenir des informations détaillées sur
l'impact d'un produit sur la santé, ndlr), et
on est super fiers qu'ils soient passés par
Ticket for Change. Julie et François, les
deux fondateurs, ont participé au Parcours
Entrepreneurs de Ticket for Change au
moment où ils se sont dit « OK on se lance »,
mais ils ne venaient pas du tout de ce
milieu là. On a misé sur eux au tout départ
et Ticket for Change a été leur première
brique d'accompagnement, et derrière ils
ont eu un succès extraordinaire, c'est utilisé
par 60 millions de personnes. Ils ont eu un
impact hyper fort. Un autre de mes projets
préférés, c'est celui de Youssef, Loubnia
et Donia, avec le projet Meet My Mama.
Ils accompagnent des femmes issues de
l'immigration qui ont un savoir-faire
culinaire à devenir cheffes. Il y a à la fois
une prestation de traiteur super qualitatif,
et à côté un projet d'accompagnement de
femmes qui ont souvent été isolées.
Comment aidez-vous concrètement
les gens à se lancer ?
J.B. : On a tout un panel d'offres de
formation, à tous les niveaux. La première,
c'est la sensibilisation. Faire comprendre
que tu peux avoir un impact positif, que tu
peux miser sur tes talents. Cela peut passer
par de simples ateliers de trois heures,
qu'on fait avec des jeunes, soit par un petit
livre de 70 pages qu'on a écrit, soit par des
podcasts. Ensuite, on a une offre autour de
la réorientation pro, le bilan de compétence,
la transition de carrière, en partenariat avec
Ulule, qui s'appelle L'Exploration. Et on a
une troisième offre qui s'appelle Parcours
Entrepreneur, qui est notre programme
phare, sur six mois. C'est pour apprendre à
ESCP Alumni Magazine numéro 205 ❙ MARS 2024
te transformer toi, à transformer ton projet.
C'est très intense, mais aussi très qualitatif,
avec une cinquantaine de personnes. Ca
créé une communauté, un réseau. On a
aussi une offre plus B2B, on conçoit dans
les boites des programmes sur mesure.
On a donc pleins de ressources, avec des
programmes courts, des programmes longs
et des programmes sur mesure.
Quels vont être les enjeux de Ticket
for Change pour les dix prochaines
années ?
J.B. : C'est vaste (rires). J'aimerais que dans
dix ans, on ait contribué à ce que le modèle
de l'entreprenariat social devienne la norme,
que ce soit une voie qui donne envie aux
générations qui arrivent sur le marché du
travail. Et pour ça, il faut que l'État soutienne
l'innovation sociale et environnementale
comme il soutient l'innovation tech.
Pour arriver à ça, l'un de nos plus gros
challenges avec Ticket for Change, c'est la
transformation personnelle. Il ne peut pas
y avoir de transition profonde du modèle
de société dans lequel tu vis s'il n'y a pas
aussi une transition profonde intérieure
des schémas de réussite, des modes de
leadership... Si tu montes un projet
d'entreprise sociale ou environnementale
qui est canon, mais que tu es un directeur
horrible avec tes salariés et tes partenaires,
ça ne sert à rien. Il faut que la forme de
leadership et les mentalités évoluent. Après,
comment on fait ça ? On a dix ans pour le
trouver (rires).
Et toi, où te vois-tu dans dix ans ?
J.B. : Tous les deux ans, je me demande deux
choses : est-ce que ça me plait toujours,
et est-ce que je suis toujours la bonne
personne ? Jusqu'ici, j'ai toujours répondu
oui. Le jour où ce ne sera plus le cas, c'est
que ce sera peut-être l'heure de passer la
main. Et puis, je pense que c'est bien aussi
qu'à un moment, il y ait d'autres regards,
d'autres personnalités, d'autres réseaux, des
gens qui ont plus d'influence, notamment
sur la partie politique...
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