ESCP ALUMNI magazine - #205 - Mars 2024 - 27

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Dossier ❙ Grand entretien
Quelle vision veux-tu donner à
l'intelligence artificielle et quels
sont les écueils à éviter pour le
futur de l'IA ?
C.D. : L'un des gros risques sur lesquels on
travaille beaucoup, c'est le risque de concentration
du pouvoir et des capacités puisque
l'intelligence artificielle demande énormément
de ressources, en infrastructures
comme en qualifications. Il y a un risque que
toute l'intelligence artificielle se concentre
aux Etats-Unis et en Chine dans quelques
très grosses entreprise. Notre but est de
construire des outils pour qu'en France, on
puisse aussi construire des systèmes d'intelligence
artificielle qui soient compétitifs
par rapport aux autres. C'est pour cela qu'on
s'évertue à mettre en place des outils qui
permettent à tout le monde, n'importe où,
dans tous les pays, de participer, de comprendre
et de construire l'intelligence artificielle
eux-mêmes.
L'intelligence artificielle doit être
l'affaire de tous ?
C.D. : Je pense que c'est super important
que les gens s'approprient vraiment la
technologie pour la comprendre et l'appliquer
là où elle est nécessaire. Si on laisse la
technologie uniquement dans les mains de
quelques entreprises, elles vont faire ce que
les entreprises ont toujours fait, c'est-à-dire
essayer de maximiser leurs profits et d'arriver
à des situations de monopole. Alors que
si on démocratise cette technologie et qu'on
la rend plus facile d'accès à tous, cela permettra
de la focaliser sur les sujets qui sont
importants pour les gens, comme l'environnement.
On devrait utiliser davantage les
potentialités liées à l'intelligence artificielle
pour solutionner des problèmes comme le
réchauffement climatique. Une des membres
de notre équipe, Sasha Luccioni est d'ailleurs
l'une des expertes les plus reconnues
sur le sujet de l'intelligence artificielle liée
à l'environnement. Elle travaille sur l'évaluation
de l'émission carbone de l'entraînement
des modèles d'intelligence artificielle.
Au-delà de cet exemple, je suis convaincu
que donner l'accès aux gens permet de focaliser
la technologie dans son ensemble vers
des cas d'usage qui sont importants pour
eux et qui sont bénéfiques pour tous.
Comment tu vois le futur de
l'intelligence artificielle ?
C.D. : Je pense que tous les domaines de
la technologie, tous les domaines de la
société vont être touchés par l'intelligence
artificielle. C'est vraiment un nouveau
paradigme : tous les produits technologiques
que tu utilises aujourd'hui vont être
construits grâce à l'intelligence artificielle.
En quelques années, l'intelligence artificielle
en tant que domaine va devenir plus gros
que le domaine général de l'informatique
ou de la technologie aujourd'hui. Je pense
que dans quelques années, tu auras 100 millions
d'AI Builders, de la même manière que
tu as 100 millions de software engineers
aujourd'hui.
Mais il y aura toujours besoin
d'hommes, tu ne crois pas au
fantasme d'une intelligence
artificielle indépendante ?
C.D. : Non. L'IA c'est un nouveau paradigme
pour construire de la technologie,
mais cela dépend des individus. Ce n'est pas
du tout indépendant ni autonome comme
système. C'est vraiment une méthodologie
de création de technologies qui dépend
des gens qui la construisent. L'espèce de
dystopie où l'intelligence artificielle prend
le pouvoir sur tout en autonomie, c'est de la
science-fiction.
Tu fais une prédiction qui peut
interpeller : celle de la création
d'un média entièrement généré
par l'intelligence artificielle
C.D. : Il commence à y avoir des études qui
montrent que parfois les humains préfèrent
lire du contenu qui a été généré automatiquement
que du contenu créé manuellement.
C'est donc possible, en effet, que cette
année, il y ait des médias qui se développent,
qui soient principalement générés automatiquement.
Moi, ce qui m'intéresse beaucoup
là-dessus, c'est surtout la capacité de personnalisation
qui est potentiellement illimitée.
On pourrait par exemple voir un média
qui s'adapterait au temps disponible de ses
lecteurs. Par exemple, tu pourrais imaginer
que quelqu'un qui veut lire mon interview
dans ESCP Alumni magazine pourrait déterminer
la durée de la version qu'il veut lire.
ESCP Alumni Magazine numéro 205 ❙ MARS 2024
Pour en revenir à des choses moins
prospectives, quels souvenirs
conserves-tu de ton passage à
ESCP ?
C.D. : ESCP est l'école qui m'a vraiment
ouvert au monde. Aujourd'hui je suis basé
aux États-Unis et je pense que c'est l'école
qui m'a donné cette ouverture et cette envie
de créer une entreprise bicéphale entre la
France et les États-Unis. Avant d'entrer à
l'école, j'avais très peu voyagé. Lors de mon
cursus à ESCP, j'ai passé un an à Madrid,
6 mois en Inde à Bangalore et 6 mois à
Dublin. Quand j'étais à Madrid, j'étais président
de la Junior Entreprise et j'avais deux
vice-présidents, un allemand et un espagnol.
Je me souviens très bien que c'était ma
première expérimentation de management
interculturel puisque la manière dont le
management et le leadership sont communément
admis en Espagne et en Allemagne
diffère assez nettement ! Cette expérience
de leadership multiculturel m'a plu et m'a
pas mal aidé dans ma future carrière. ESCP
c'est aussi là où j'ai fait mes premières
armes dans l'entrepreneuriat, j'étais à la
Blue Factory avec Maeva Tordo (MiM 10) sa
Directrice, avec plein de gens très cools qui
ont par la suite monté de belles boîtes. C'est
un super souvenir.
Quels conseils donnerais-tu aux
étudiants qui voudraient se lancer
dans l'IA ?
C.D. : Expérimentez. Aujourd'hui, avec
l'open source, on trouve des moyens de
tester des choses très vite sur GitHub ou
sur Hugging Face par exemple, même
quand on n'a pas un background technique.
C'est assez facile de s'essayer aux
fonctionnalités de l'IA. Par exemple, on
vient de lancer le Hugging Chat Assistant
qui permet à tout le monde de créer un
assistant sans devoir coder, juste en lui
donnant des instructions. Je conseillerais
vraiment à tout ceux qui sont intéressés
de tester des choses, d'aller à la Blue
Factory, de lancer un projet. Ensuite il faut
prendre les choses une étape après l'autre,
mettre un pied devant l'autre et avancer progressivement.
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