ESCP ALUMNI magazine - #204 - Novembre 2023 - 20

Dossier ❙ Grand entretien
Propos recueillis par Fabien PALEM
« Leonard de Vinci
était un slasheur »
Fabienne OLIVIER (EMBA 2000) a longtemps slashé sans le savoir. Devenue spécialiste
des évolutions des modes de travail, elle a créé slashers.io en 2019. Cette plate-forme de
networking vise à encourager l'intelligence collective entre entreprises et slasheurs, pour
œuvrer à « la mise en commun des talents et des enthousiasmes ».
la bifurcation ou de l'hybridation de l'activité
répond très souvent à un désir d'inclure ses
centres d'intérêts dans l'agenda professionnel.
Fabienne OLIVIER (EMBA 2000)
Fondatrice de slashers.io
Qu'est-ce qu'un slasheur ?
Fabienne OLIVIER : On définit souvent un
slasheur comme une personne exerçant plusieurs
métiers ou activités en même temps. C'est déjà
une limite de la définition car la pluriactivité
peut aussi être séquencée. Contrairement aux
carrières traditionnelles et linéaires, le travail
en slashing permet de prendre en compte les
centres d'intérêts du travailleur. Ce dernier place
de nouvelles valeurs au centre de son parcours
professionnel : la polyvalence, la diversité ou
encore la quête de sens. Depuis peu, le terme
fait officiellement partie de la langue française !
Mais le slashing remonte à loin. D'une certaine
manière, Leonard de Vinci était un slasheur.
Faut-il être digital native et tout juste
sorti d'école pour se dire slasheur ?
F.O : Il y a beaucoup de jeunes sortis d'école
qui souhaitent slasher. On le voit aussi avec
le phénomène des nomades digitaux et du
freelancing en général. Mais du côté des
slasheurs, les deux profils les plus fréquents
sont les trentenaires d'un côté et les 45 - 50 ans
de l'autre. Chez ces jeunes séniors, le choix de
20 ❙
Comment devient-on slasheur ?
F.O : Dans mon cas, ça s'est fait naturellement.
Je slashais sans le savoir. J'étais entrepreneuse
et donc très autonome. Pourtant, je ressentais
régulièrement le besoin de changer d'activité,
une fois acquise une expertise dans mon
domaine. Je ressentais le besoin d'ajouter de
nouvelles briques à mon édifice. J'ai repris les
études à ESCP à 35 ans, je me suis engagée
dans le domaine associatif. Et puis, j'ai fait du
documentaire, du transmédia... Jusqu'à créer la
plateforme slasheurs.io, dont l'objectif est la mise
en commun des talents et des enthousiasmes.
L'enthousiasme semble être une valeur
primordiale du slasheur...
F.O : L'enthousiasme et la curiosité sont
deux piliers de l'écologie du travail humain.
Une notion qui n'a rien à voir avec l'usage
de touillettes recyclables ou d'un termos en
entreprise, quoique ce sont deux choses très
utiles par ailleurs ! L'écologie du travail humain
ou la permaculture humaine prennent en
compte l'épanouissement des travailleurs. On
cherche cet équilibre entre être juste avec soimême,
avec les autres, avec la planète.
Les entreprises se sont-elles adaptées à
ce nouveau mode de fonctionnement ?
F.O : Pas encore suffisamment. Dans le vieux
modèle, l'entreprise devait fidéliser les employés,
en maintenant une gestion pyramidale et
souvent paternaliste. Tout a changé : les
méthodes de management, de paiement... Pour
ESCP Alumni Magazine numéro 204 ❙ NOVEMBRE 2023
mieux inclure les slasheurs, l'écosystème doit être
plus adapté à eux. Les entreprises doivent mieux
comprendre le phénomène et avoir confiance
dans la responsabilité des collaborateurs.
L'engagement ne se fait plus par la contrainte,
comme auparavant. Alors, on remarque que le
système actuel manque encore de flexibilité, mais
aussi de sécurité pour les travailleurs. Quand on
est slasheur, mieux vaut ne pas tomber malade
ou enceinte ! Il y a un modèle à inventer. Certains
régimes, comme l'intermittence du spectacle,
serviront peut-être d'inspiration.
Expliquez-nous à quoi correspond
l'ikigai, cette conception japonaise de
l'équilibre personnel.
F.O : L'ikigai permet de faire connecter notre
raison d'être avec celles des autres, en valorisant
la singularité de chacun. Ce concept englobe
quatre cercles, qui doivent se croiser : je fais ce
que j'aime ; je m'exprime dans un domaine où
j'ai du talent ; j'œuvre pour une cause qui me
tient à coeur ; je gagne ma vie avec. Je rencontre
de nombreux slasheurs qui arrivent à faire se
croiser les trois premiers cercles, mais ne vivent
pas de leur activité.
Doit-on redéfinir ou même
abandonner le mot travail, du latin
tripalium (instrument de torture à
trois pieux) ?
F.O : Oui, très certainement. Le travail pris
comme un labeur a fait son temps. Il y a des
recherches très intéressantes sur la question,
notamment le livre Du labeur à l'ouvrage de
Laetitia Vitaud. On observe que le rapport au
travail des slasheurs renvoie aux valeurs de
l'artisan : autonomie, goût du travail bien fait... ❙

http://www.slashers.io http://www.slashers.io http://www.slasheurs.io

ESCP ALUMNI magazine - #204 - Novembre 2023

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine - #204 - Novembre 2023