ESCP ALUMNI magazine - #203 - Septembre 2023 - 31

Carrière ❙ Portrait. Alumni of the year 2023
En France,
tout le monde
attend la crise de la
quarantaine pour
se questionner. Je
pense qu'on doit
revoir nos modèles
d'accompagnement
sur ce sujet.
tous les avantages proposés par l'école :
les accords d'échange, la vie associative,
le sport - en l'occurrence l'aviron - tout
est bon à prendre. Mais pour ce qui est de
l'orientation professionnelle, c'est une autre
affaire. « J'ai fait un stage dans la vente aux
enchères chez Christie's, un stage en marketing
sur des sujets variés allant des shampoings pour
coiffeurs chez L'Oréal, aux cartes de carburant...
Dans l'absolu, pourquoi pas. Mais passer trois
heures à se demander s'il faut écrire tel texte en
police 9 ou 8,5, très vite, j'ai senti que j'allais
tourner en rond. » Enfin, le déclic a lieu : les
étudiants de troisième année sont appelés à
se réunir dans le Grand Amphi afin d'assister
à une présentation du cabinet de conseil
Bain & Company. Au pupitre, une certaine
Joëlle de Montgolfier. « Elle avait la trentaine,
elle rayonnait, elle était enceinte et nous parlait
de ses projets clients où elle revisitait la stratégie
avec les plus grands groupes de la planète...
Je me suis complètement projetée ! Je n'arrêtais
pas de me dire " mais cette femme forte,
smart, brillante qui arrive à concilier tout, en
même temps, je veux être comme elle ! " . »
Des étoiles dans les yeux, Amélie marque
une pause et sourit : « C'est d'ailleurs elle qui
m'a fait passer mes entretiens d'embauche chez
Bain. J'y suis rentrée et le deuxième jour, je sanglotais,
persuadée que jamais j'allais y arriver. »
Elle y restera pourtant dix ans.
De Coca-Cola au potager
Douée pour résoudre des problèmes, animée
par le challenge d'une entreprise en
difficulté, Amélie semble avoir trouvé sa
place. Elle ajoute : « Regarder les choses sous un
autre angle, apporter des éclairages, des réponses
qu'une boîte ne trouve pas par elle-même, ça
me stimulait ! Et puis, je touchais à d'innombrables
domaines. » Mais qui dit médecin des
entreprises, dit aussi son lot de déceptions.
Elle ne s'en cache pas, certaines missions
n'ont pas été simples : « Quand vous vous
retrouvez impuissante face à des entreprises en
réelle difficulté, que les recommandations faites
et défendues requierent de fermer des usines et
donc de mettre un paquet de gens au chômage,
c'est dur psychologiquement. » Fatiguée du
réveil à cinq heures du matin pour retrouver
un client à Rotterdam, des nounous qui
font les trois-huit, Amélie décide de « passer
de l'autre côté du miroir ». Chez le client.
C'est à Coca-Cola qu'elle atterrit. Comment
est-ce qu'on réduit le plastique ? Comment
peut-on aller de plus en plus sur du PET
recyclé ? Comment remplacer le plastique
par du carton ? Comment éliminer au maximum
les emballages secondaires ? Toutes ces
questions, Amélie commence à se les poser
sérieusement. Malheureusement, entre
investir des millions sur une nouvelle ligne
de production pour un packaging plus vert
et travailler sur ses chiffres de rentabilité,
le choix est fait. « Ça pouvait parler de récupération
de plastique dans les océans, mais ça
reste une grosse entreprise dans laquelle il faut
délivrer des chiffres. » D'autant que le rythme
est tout aussi intense, voire plus difficile que
Bain et cie. Stop ! Au bout de quatre ans,
ESCP Alumni Magazine numéro 203 ❙ SEPTEMBRE 2023
Amélie quitte le géant du soda et décide...
de ne rien faire. « J'avais besoin de m'arrêter,
de sortir de ce fleuve tumultueux et de réfléchir.
" Finalement, tout ça m'emmène où ? De
quoi j'ai envie ? " . »
Dans son jardin rémois, loin de sa vie à mille
à l'heure, Amélie passe du temps avec ses
enfants, prend soin de son potager, regarde
les fleurs pousser, sans que personne ne
vienne lui demander des comptes. Le bonheur,
non ? Car si pendant des années,
ses décisions ont été prises en fonction de
son curriculum, Amélie conseille désormais
complètement l'inverse aux étudiants
d'ESCP. À savoir : 'Ne travaille pas pour ton
CV, mais pour toi. Suis tes intuitions, ton 'gut
feel' et tes désirs'. Chose, selon elle, que l'on
ne fait pas suffisamment tôt. « En France, tout
le monde attend la crise de la quarantaine pour
se questionner. Je pense qu'on doit revoir nos
modèles d'accompagnement sur ce sujet. L'autre
jour, je lisais un bouquin d'un philosophe (dont
elle a oublié le nom, ndlr) qui disait qu'à l'adolescence,
on aurait une intuition sur " qui on est "
et sur " ce qu'on veut faire " . Une intuition qui,
rapidement, serait noyée sous des injonctions. »
Sans pour autant s'agacer, la directrice B2B
de Phenix est catégorique : il est temps de
dédramatiser les choix d'orientation professionnelle.
« À 20 ans, c'est impossible de savoir
ce qu'on veut faire de sa vie. C'est un questionnement
qui, constamment, se rafraîchit. »
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