ESCP ALUMNI magazine - #203 - Septembre 2023 - 17

Dossier ❙ Une idée européenne
Les Européens ont l'habitude de
travailler dans des contextes culturels
différents, et ce, depuis le début de leurs
études supérieures.
petites différences, auxquelles il faut s'adapter,
poursuit Christophe Leyssieux (ESCP 95),
actuel chef de projet en France et en Italie
du géant chinois de l'électricité Chint. « En
Allemagne, la communication est par exemple
plus frontale qu'en Angleterre. J'ai pu travailler
trois mois avec un chef de projet britannique en
Italie qui me disait successivement. « Oui, non,
peut-être..». Au bout d'un moment, il a fallu
que quelqu'un me fasse comprendre qu'il n'était
pas réellement intéressé. Ce cas précis m'a posé
des problèmes, mais, globalement, j'ai appris
à comprendre la culture business des pays où
j'ai travaillé pour savoir à quoi s'attendre, lire
entre les lignes...»
La touche européenne
Dans un continent très morcelé
géographiquement et linguistiquement, le
manager européen semble paradoxalement
mieux armé pour appréhender la différence
et s'y adapter. « Pour moi, c'est cette approche
facilitée de la diversité qui nous différencie
du management américain, estime Marc
Scheer (EAP 93), conseiller au ministère de
l'économie du Luxembourg. Les Européens
ont l'habitude de travailler dans des contextes
culturels différents, et ce, depuis le début de
leurs études supérieures. » La création puis
l'élargissement du programme Erasmus
depuis la fin des années 1980 comme
l'instauration de formations multi campus -
à l'image de celle proposée par ESCP - en
sont une illustration directe : « Ce que je
retiens d'abord de mes années à ESCP c'est
l'acquisition de cette capacité d'adaptation,
avance Hemisha Newaj (BSc 21), viceprésidente
de l'association étudiante
Agora. L'apprentissage est sans cesse renouvelé,
puisque chaque année et pendant trois ans, on
découvre un nouveau contexte, un nouveau
campus, un nouveau pays, avec des étudiants
de dizaines de nationalités différentes. » Le
plurilinguisme semble également davantage
prononcé chez les managers européens :
« Les Américains ont tendance à ne parler
qu'uniquement anglais, illustre Christophe
Leyssieux. Moi, je suis français et je travaille
pour la filiale allemande d'une société chinoise,
sur les marchés français et italiens. Je parle
italien, anglais, allemand. C'est peut être aussi
ça, faire du management européen ». Pour Eric
Davoine, le tronc commun du management
européen s'articule prioritairement autour
de deux caractéristiques majeures : d'abord,
une approche davantage sociale, basée sur
un dialogue avec les salariés hérité d'un
droit du travail plus exigeant que sur les
autres continents. Ensuite, une emphase
globalement plus prononcée sur les
compétences métiers des managers. « Plus
que l'expertise métier, ce sont les compétences
sociales et de leadership qui sont déterminantes
dans le management anglo-saxon: on veut des
leaders capables de fédérer des troupes, de
trouver des solutions, plutôt que des hyper
spécialistes, explique l'enseignant. L'Europe
continentale, elle, a plutôt une tradition
" métier " , qui est importante pour légitimer les
positions managériales. C'est beaucoup plus
difficile pour des Allemands, même pour des
Français, d'occuper des positions de leadership
dans des équipes qui ont une expertise technique
que le manager, lui, n'a pas. » A l'image des
compromis nécessaires à la construction
européenne, les pratiques managériales du
vieux continent semblent aussi épouser une
verticalité moins prononcée, caractérisée
par une habileté à prendre des décisions
collégiales. « De ce que j'ai pu observer lors
ESCP Alumni Magazine numéro 203 ❙ SEPTEMBRE 2023
de mes travaux de groupes avec des étudiants
internationaux, les gens issus de culture
asiatique ont plutôt tendance à fonctionner
selon des procédés très hiérarchisés, basés sur
une division des tâches prononcées, illustre
Hemisha Newaj. Une personne pouvait être
nommée pour piloter l'ensemble du projet, là où
les Européens vont avoir tendance à privilégier
une gestion plus collective et horizontale. »
Marc Scheer, qui a officié pendant onze ans
comme chargé d'affaires de l'ambassade
du Luxembourg aux Emirats Arabes Unis
puis comme conseiller économique dans
la région du Golfe, peut témoigner de
l'unicité du management européen: « Dans
ces pays moyen-orientaux, j'étais confronté
à des organisations très dépendantes d'une
figure centrale, très hiérarchisées. Ça remet
en perspective une spécificité du modèle
européen : des gens de plusieurs pays peuvent
avoir une vision différente sur le même
problème, mais cette diversité d'opinions est
perçue comme un atout, pour résoudre ledit
problème. » Une culture du consensus qui
doit par ailleurs composer avec un certain
nombre d'imperfections, inhérentes à son
fonctionnement: « Ce compromis typiquement
européen peut aussi parfois être considéré
comme négatif, confirme Marc Sheer. Il peut
parfois aboutir à des solutions perçues comme
trop diluées, pas assez radicales. »
L'influence américaine
Le management dit « européen » souffre
également de la concurrence exacerbée
des modèles de leadership anglo-saxons,
qui tendent vers une uniformisation
des procédés et cultures gestionnaires.
« On peut identifier plusieurs facteurs qui
expliquent comment ce modèle s'est imposé
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