ESCP ALUMNI magazine - #201 - Mars 2023 - 37

Carrière ❙ Parcours singulier
sol français, elle décide sur un coup de tête
de rejoindre une amie à Istanbul. Les deux
se rendent à un marché et Sophie y fait la
rencontre d'un marchand d'étoles en soie et
en cachemire. « Il a commencé à m'expliquer
que tout était fait main sur des métiers à tisser,
grâce à des techniques ancestrales que pratiquaient
une centaine de familles syriennes à la
frontière turque, raconte-t-elle. Cette phrase
m'a suffi. J'ai tout de suite compris que, ce que
je souhaitais, c'était de passer du temps avec des
personnes qui pratiquent ce genre de techniques
ancestrales, se transmettant de génération en
génération. Il y avait ce côté patrimoine mondial
qui m'attirait énormément. »
L'artisanat ancestral d'Amérique
Latine
Après cet échange, Sophie est déterminée
et décide de s'envoler pour l'Amérique
Latine, continent où elle renouera avec la
céramique. Mais avant de prendre son billet
d'avion, la jeune femme réfléchit au pays
destination. Car l'Amérique latine, c'est
un peu large. « Des amies avaient entrepris
ce qu'elles appellent un " food sense tour " . En
gros, elles allaient rencontrer des acteurs qui,
au niveau de la nourriture, étaient considérés
comme innovants, explique-t-elle. Je
me suis inspirée de ça, me disant que j'allais
faire la même chose, mais autour de l'artisanat
textile ancestral. » Pour être certaine de
ne pas se tromper, l'étudiante contacte de
nombreuses associations. La réponse est
sans appel : « Si tu veux découvrir du textile
qui a vraiment une racine profonde, va au
Guatemala, lui conseille-t-on. C'est vraiment
quelque chose à ne pas rater. » Il n'en faut pas
plus à Sophie pour se décider. Sac à dos
rempli, la jeune femme traverse l'Atlantique
et rejoint le pays de l'éternel Printemps pour
deux mois et demi, en tant que volontaire
reporter. « Là-bas, je suis partie à la rencontre
de communautés totalement reculées. Je me
souviens notamment d'avoir fait la connaissance
d'une femme qui était tisserande dans
l'association mais qui était aussi pratiquante
de rituels Mayas avec le feu. Pour eux, le feu est
un moyen de se connecter aux autres éléments.
La céramique comme premier matériau s'est
imposée naturellement, car elle interfère avec
les quatre éléments : le feu, l'air, l'eau et bien
évidemment la terre. » Impossible de s'arrêter
en si bon chemin. Sophie poursuit ses
recherches et décide de passer la frontière
mexicaine avant de redescendre en Bolivie
où une anthropologue l'attend. « Dès que je
pouvais rencontrer une petite association locale,
j'y allais direct. » Un périple qui, au total,
aura duré six mois.
" J'avais l'impression d'être un robot "
Back to reality. De retour sur Paris, Sophie
n'a pas le choix. Elle doit achever son cursus
et valider sa deuxième année de Master.
Une fois le diplôme en poche, ses premiers
emplois l'emmènent du côté de l'innovation
(luxe, finance, startup tech). Mais très vite,
l'envie de créer des objets, de pratiquer des
gestes d'artisans, revient au galop. Sûrement
en rupture avec le monde technologique
dans lequel elle évoluait. « J'avais l'impression
d'être un robot, qui passait ses journées derrière
un écran, grimace-t-elle. Quelque chose
me manquait, j'avais besoin d'être plus dans
la sensation, dans le ressenti, dans l'émotion,
dans le sensitif. » Super timing : la pandémie
éclate et oblige Sophie - comme le reste du
monde - à se confiner. « Je me suis retrouvée
avec cinq ami.e.s dans une maison de campagne
située près de Lyon. Pour beaucoup de gens,
cette pandémie a eu son petit effet. Pour moi, ça
a vraiment été un moment de bascule », lancet-elle.
Dès la fin du premier confinement,
c'est le grand saut : Sophie négocie une rupture
conventionnelle et choisit la céramique
comme nouvelle voie. Malheureusement,
les petits cours du soir aux Grands Voisins
à Paris ne suffisent plus. À cet instant, tout
s'enchaîne : Sophie rejoint l'atelier de Pia
Chevalier en tant que stagiaire assistante
designer, suit les cours de tournage du grand
maître Augusto Tozzola - depuis à la retraite
-, et retourne au Mexique, dans la province
de Oaxaca. « Là-bas, j'ai pu faire des cuissons
au feu de bois, apprendre des techniques
ancestrales de brunissage, de tournage manuel,
de modelage... » Aussitôt revenue, aussitôt
repartie. L'apprentie céramiste retourne au
Guatemala et y ouvre son propre atelier.
Mais au bout d'un an, les choses se corsent :
Sophie peine à trouver des matières, encore
moins garanties sans plomb. « Ça tombait
plutôt bien, car je commençais à réaliser qu'un
an, c'était suffisant », avoue-t-elle. Il était
-enfin- temps pour Sophie de rentrer en
France et cette fois, d'y rester. Espérant pouvoir
un jour, ouvrir son propre atelier et lieu
d'exposition à Marseille, Sophie pense à
sa grand-mère qui, de là où elle est, doit
l'observer. Non sans fierté.
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Apprentissage de techniques ancestrales dans la province de Oaxaca au Mexique
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©2021-Celine Gaiardo
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