ESCP ALUMNI magazine - #201 - Mars 2023 - 34

Carrière ❙ Grand entretien
1992 comme une compagnie aérienne traditionnelle.
Le patron de l´opérateur historique
affichait d'ailleurs, qu'il ne « voulait
pas voir de jeunes avec des sacs à dos dans ses
trains ». Résultat, il y avait très peu de clientèle
loisirs, presque aucune famille. Ouigo
est venu répondre à cette demande de train
populaire et accessible. Disons que nous
avons amené la grande vitesse à un nouveau
profil de voyageurs : des familles, des
étudiants, des micro-entrepreneurs. Et avec
un taux d'occupation de 97 % la première
année, c'est effectivement un succès commercial
énorme.
Ouigo a permis de démocratiser le
train en Espagne ?
H.V : Absolument ! D'autant que depuis.
la Renfe a réagi à l'arrivée de Ouigo et a
créé Avlo, son propre service low-cost. Il y
a quelques semaines Trenitalia a lancé son
offre à son tour. Cette concurrence, ce choc
d'offres permet de démocratiser le train
en Espagne. Et c'est vrai que les citoyens
espagnols ont réagi très positivement. Notre
impact sur la société est très positif, et nous
avons reçu des témoignages touchants,
d´enfants qui sont en garde partagée et qui
désormais peuvent voir leurs parents régulièrement
parce qu'on propose des billets
de train à 5 euros pour les enfants jusqu'à
14 ans, c'est vrai que c'est génial ! C'est
quasiment une révolution puisque Ouigo
a donné accès à la grande vitesse à tous les
espagnols.
Et comment on fait justement pour
proposer des services de qualité à
bas coût ? Quels sont les leviers qui
permettent de réduire les coûts ?
H.V : Le levier principal dans ce type d'industrie,
c'est de saturer l'utilisation des
actifs. Notre premier actif, c'est le train. Or
un train, ça coûte très cher. Nous avons
quatorze trains et l'objectif c'est d'optimiser
l'utilisation de ce matériel roulant : l'utiliser
quand le client en a besoin et effectuer
l'essentiel de la maintenance la nuit pour
que le matériel soit en capacité de faire le
plus de kilomètres possibles. C'est l'essence
du modèle il faut être astucieux sur notre
façon d'organiser la production pour baisser
les coûts au maximum et proposer des
petits prix. C'est un modèle qui flotte économiquement
si tu as un taux d'occupation
très élevé. Il est impossible d'être rentable
avec des trains à moitié vides. L'autre enjeu
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c´est la distribution digitale et de créer une
marque qui se différencie énormément des
marques en place. Et c'est vrai que Ouigo,
c'est une marque qui est drôle, proche,
impertinente. C'est aussi l'une des clés de
son succès.
Après avoir travaillé aussi
longtemps de l'autre côté des
Pyrénées, comment jugez‑vous les
différences culturelles au travail
entre la France et l'Espagne ?
H.V : Je dirais qu'en France, on a l'habitude
de planifier et on a toujours un plan B. Notre
manière de gérer un projet, c'est d'avoir un
plan à cinq ans au prix parfois d'une certaine
rigidité. En Espagne, ça n'est pas toujours
le cas. C'est même parfois l'excès inverse.
Culturellement, il y a moins de planification.
En revanche, il y a plus d'agilité et une vraie
capacité à se mobiliser rapidement. Notre
ambition chez Ouigo, c'était de prendre le
meilleur de ces traits culturels !
Si vous jetez un coup d'œil en
arrière, qu'est‑ce qui vous rend
fière aujourd'hui ?
H.V : À chaque fois qu'on me demande
pourquoi j'ai choisi le train ? Je réponds
que j'ai de la chance, je vends un produit
qui permet de bouger tout en protégeant
la planète. Quand on suit un peu le Shift
Project et Jean-Marc Jancovici, on voit bien
qu'avec la crise énergétique il faut changer
de paradigme. On doit aller vers du transport
collectif propre, électrique. Le train à
grande vitesse répond parfaitement aux
enjeux de la planète sur la moyenne et la
grande distance. C'est passionnant de travailler
dans un sujet créateur de bien d'autant
que voyager c'est quand même super et
que c'est nécessaire à la croissance économique
! Je suis aussi fière de travailler pour
une entreprise qui a toujours eu une vision.
Il y a 10 ans, au moment du lancement de
Ouigo, la SNCF a réalisé que l'auto-partage,
était en train de monter, que le train
perdait des parts de marché par rapport à
la route et qu'il fallait offrir une alternative.
Et Ouigo, c'est une super réponse, parce
qu'aujourd'hui une personne sur deux dit
que si Ouigo n'existait pas, elle n'aurait pas
voyagé.
Comment expliquer que malgré
tous ces bienfaits, la SNCF ait une
mauvaise image en France ?
ESCP Alumni Magazine numéro 201 ❙ MARS 2023
H.V : Ça n'est pas une spécificité française.
En Allemagne, les citoyens sont mécontents
de la Deutsche Bahn. En Italie, c'est pareil.
Je comprends les mécontentements car en
tant qu'utilisatrice de ce service public, un
retard ou une suppression de train agace.
Mais je crois aussi qu'il y a un grand attachement
à la SNCF et que tous les français
se sentent un peu propriétaires de cette
entreprise. Je pense aussi qu'il y a eu un
désinvestissement dans le ferroviaire dont
on paie aujourd'hui le prix. La France n'a
pas assez investi pour maintenir le niveau
de performance de son réseau. Il faut refaire
les voies, les composants électroniques pour
la signalisation. La maintenance, c'est aussi
de l'investissement nécessaire pour mettre
à niveau le réseau. C'est d'ailleurs pour cela
que Jean-Pierre Farandou plaide pour un
investissement de 100 milliards sur 10 ans
pour rattraper notre retard.
C'est quoi votre morning routine ?
Votre secret pour mener de front
tous vos projets ?
H.V : Je nage tous les jours avant d'aller
au bureau. Ça fait partie de ma routine. Si
je ne suis pas en déplacement, à 7h je suis
dans l'eau. D'ailleurs, j'habite à 300 mètres
d'une piscine !
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Ses conseils aux étudiants
Il faut profiter au maximum de la richesse
de la vie associative et des expériences
qu'elle offre. Quand j'étais étudiante, je
suis partie en Australie pour vendre de
la bière sans alcool grâce à Projexport.
Bon, autant dire que cela n'avait pas
bien fonctionné ! Mais ESCP a été un
espace de liberté, d'expérimentation,
de prise de contact avec l'entreprise.
L'école m'a permis d'essayer plein de
choses, de varier les expériences.
De manière générale, je conseille
de toujours rester éveillé, de
chercher les challenges. A ce titre,
je trouve que les V.I.E offrent de
très belles perspectives. C'est une
opportunité d'avoir une expérience
internationale quand on est jeune.
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