ESCP ALUMNI magazine - #201 - Mars 2023 - 27

Dossier ❙ Interview Expert
Justement, comment moderniser un
club comme Bordeaux, qui existe
depuis 1920 ?
J.D'A. : On a travaillé sur plusieurs éléments.
D'abord, on a arrêté la chaîne de télévision
du club, Girondins TV. Elle appartenait au
groupe M6, mais c'était un média qui n'avait
absolument aucune mesure d'audience. On
perdait de l'argent sur ce vecteur, qu'on a
réinvesti ailleurs, notamment pour ouvrir
des comptes Facebook et Twitter en anglais,
pour s'ouvrir sur l'international. On a aussi
intégralement refait la boutique du centreville,
rue Sainte-Catherine. Il s'agit de la plus
grande avenue commerçante d'Europe, c'est
forcément un support de communication
et de vente locale important pour le club,
qu'il fallait soigner. On a aussi installé un
écran géant avec vue depuis la rue qui passait
des images, des matchs mythiques, relayait
des actualités liées au club...Au lieu d'une
vitrine un peu fade, on misait désormais sur
un affichage numérique. On a aussi changé
la structure interne, en faisant du sponsoring
un service indépendant, dédié uniquement à
trouver de nouveaux partenaires financiers.
Quand je suis arrivé, c'était mélangé avec
le ticketing, alors que ce sont deux métiers
complètement différents. Sectoriser nous a
permis de trouver de nouveaux partenaires.
C'est comme ça qu'on a pu faire d'Adidas, qui
est une marque encore plus forte que Puma
dans le football, notre nouvel équipementier.
Aujourd'hui, l'inclusivité et
l'écologie sont aussi des axes de
travail importants pour les clubs et
associations sportives non ?
J.D'A. : Absolument. On a d'ailleurs veillé
à augmenter significativement la taille de
la section féminine. On a aussi organisé
un voyage aux Etats-Unis. Les filles ont
pu faire deux matchs amicaux à New York
et Washington, notamment face à l'équipe
de l'internationale américaine Rose
Lavelle, qui, en 2019, a marqué un but en
finale de la coupe du monde féminine. La
communauté des expatriés français a aussi
pu rencontrer les joueuses à l'ambassade
de France à Washington ainsi que le parrain
de l'initiative, Jean-Pierre Papin. On en a
aussi profité pour organiser une vente aux
enchères de vins bordelais locaux. Ce genre
de projet participe à redorer l'image d'un
club, comme à moderniser le discours, en
valorisant le foot féminin.
Quelques mois après votre arrivée à
Bordeaux, le club change de mains.
M6 vend l'équipe à GAPC, un fonds
d'investissement étasunien. Les
Américains sont passés maître dans
l'art de générer des revenus issus de
l'expérience et du marketing sportif.
Est‑ce que le sport européen peut
s'en inspirer ?
J.D'A. : En un sens, oui, mais on ne peut pas
non plus simplement photocopier ce qu'ont
fait les Américains. J'ai passé du temps aux
USA, pour aller voir des professionnels
qui gèrent des équipes de NBA, et c'est
complètement différent. A certains matchs
de basket, des gens peuvent passer 30%
de leur temps à acheter du popcorn. Ils ont
loupé 20 paniers, et ce n'est pas grave. Au
baseball, c'est pareil : vous pouvez louper une
heure de jeu et encore capter l'essence du
match. En football, c'est impossible. Si vous
êtes en train de faire la queue à la buvette
pendant qu'un but est marqué, c'est vraiment
problématique. Vous allez ressortir du stade
avec une mauvaise expérience.
Exception faite des sports US, on ne
peut donc rien faire pour diversifier
et enrichir l'expérience sportive ?
J.D'A. : Si, il y a beaucoup de choses à faire.
Je vous donne un exemple : aujourd'hui, si un
supporter veut acheter une place en tribunes,
une écharpe, une bière, un sandwich voire
un billet de train à l'avance, il doit aller sur
quatre sites internet ou lieux différents, faire
plusieurs dépenses séparées. Depuis peu,
certains clubs proposent ce qu'on appelle des
bundle : avec un seul acte d'achat, on va faire
l'acquisition de ces cinq éléments là. Je peux
aussi vous citer d'autres initiatives comme
StadiumGO, un site de covoiturage dédié
aux supporters. C'est un peu le Blablacar
des fans, qui propose donc des modalités
de déplacements plus écologiques. La
plateforme permet aussi aux supporters de
rencontrer des gens avec qui ils partagent
une passion commune, sur le trajet menant
au stade. Pour les animations à la mi-temps
d'une rencontre, on peut par ailleurs penser
à des technologies comme celle proposée
par Sportypepper. C'est une boite qui permet
de faire un peu comme la Wii, du sport chez
soi, mais sans objet connecté. Ça fonctionne
par reconnaissance de mouvement via
le téléphone. Avec ça, vous pourriez par
exemple diffuser un concours de jongles
ESCP Alumni Magazine numéro 201 ❙ MARS 2023
virtuel - un des jeux proposés par la firme -
entre deux supporters.
Y a‑t‑il des innovations marketing et
événementielles propres au football,
dont pourraient s'inspirer d'autres
disciplines voire événements,
comme les Jeux Olympiques ?
J.D'A. : Bien sûr. Prenez la démocratisation
de la data dans le sport. Ça arrive lentement,
petit à petit. A la dernière coupe du monde,
la FIFA a mis des indicateurs de vitesse de tirs
à l'écran. Ils mesuraient la vélocité moyenne
d'un tir tout le long de sa trajectoire et sa
vitesse maximum, à un instant T. Ensuite,
le narratif autour du sport, le storytelling,
c'est la clé. La grosse problématique des JO,
c'est qu'on y voit des stars éclore pendant
2 semaines. Et ensuite ? Tout ce beau monde
disparaît des radars. A cause de ça, de
nombreux sportifs ne gagnent pas leur vie,
tout simplement. Comment y remédier ?
En enrichissant le narratif. Par exemple, je
rêvais de créer une sorte de nouvelle star du
football. Le système de détection en France
est très obscur, très injuste aussi. Si un
recruteur local, un seul, a décidé qu'un joueur
n'était pas intéressant, ce joueur a de grandes
chances de ne jamais percer. Si on arrivait à
suivre dès leur plus jeune âge des joueurs
dans un centre de formation puis, plus tard,
dans leur carrière, ça pourrait cartonner.
On pourrait faire ça dans le football, mais
on pourrait aussi décliner le concept aux
disciplines olympiques. L'idée, ce n'est pas
de regarder ce qui se fait de mieux au monde
dans un sport, mais d'humaniser l'athlète,
de le montrer dans sa complexité et son
humanité. Il y a un marché très important
pour un autre type de contenu, qui n'est pas
du tout centré sur l'hyper-performance.
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