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Culture ❙ Portrait
que, dans le fond, que tu sois pervers narcissique
ou borderline/bipolaire, tu es aussi
quelque part victime de ta propre maladie.
Ils souffrent et ils font souffrir les autres
presque malgré eux. Ils se disent : « Si je suis
capable de lui faire du mal, c'est donc qu'il
m'aime. »
Pourquoi est-ce qu'il est si difficile
de s'extirper de ces situations
d'emprise psychologique,
selon-vous ?
Quand tu es séduit par une personnalité
type pervers narcissique c'est extrêmement
compliqué de s'en défaire, parce qu'il ou
elle te vole une partie de toi-même. Je le
décris dans le roman : la victime est en
permanence en train de chercher une validation
auprès de la personne qu'elle aime.
Validation qui arrive un peu, mais qui est
toujours très ponctuelle. Ça devient une
drogue. Le conjoint peut souvent se comporter
de manière abjecte, mais quand tu
parviens à cette forme d'approbation, tu te
dis « Ah mais quand même, je compte pour
lui ». C'est pour ça qu'il est aussi difficile de
les quitter. Parce qu'en les laissant, tu perds
cette reconnaissance que tu cherches depuis
des années. Il te faut admettre que tu ne
seras jamais reconnu, par cette personne
que tu as aimée.
Manon n'est pas une héroïne
féministe, au sens classique du
terme, non ?
Elle embrasse un féminisme différent, c'est
clair. Si elle reste dans cette relation toxique,
c'est aussi beaucoup pour les enfants de
Thierry, desquels elle s'est prise d'affection,
puis d'amour...Je conçois Manon comme
féministe, car elle a conscience qu'elle
devrait se rebeller mais pour autant, elle se
dit : " J'ai fait ce choix, je me suis trompée,
mais les enfants ne sont pas responsables.
Si je pars, il n'y a aucun rempart contre
leur père " . Je crois qu'il faut avoir un courage
remarquable pour sortir de l'emprise.
C'est aussi ce que j'ai voulu montrer dans
le roman. Manon est à la fois une victime
et une héroïne. On a envie de la secouer, de
lui dire « Barre toi » mais en un sens, elle est
capable d'un courage et d'une abnégation
qui lui permet, à la fin de l'histoire, de sauver
sa famille.
Le roman raconte aussi une dualité
de classe. Manon vient d'un milieu
provincial plutôt classique, quand
son époux appartient à la grande
bourgeoisie catholique lyonnaise.
Vous vouliez accentuer le contraste
entre les deux personnages ?
Bien sûr, il y aussi un rapport de domination
de classe qui se joue ici. Cette vieille
noblesse française, qui cadre majoritairement
la narration, permet d'évoquer ça et
de dessiner plus fermement la notion d'emprise.
Quand elle arrive dans cette famille,
Manon est impressionnée par la culture des
gens, la sophistication de leurs rites religieux,
leurs discussions érudites à table. Ce qui la
passionne c'est d'apprendre, de découvrir,
mais elle n'a pas tellement le sentiment
d'appartenir à une classe dite inférieure. En
revanche, eux, sont très imbus de leur statut
et s'en servent pour lui montrer qu'ils
la dominent.
Cette famille noble appartient à
un courant religieux catholique
intégriste. Pourquoi en avoir fait un
des thèmes du roman ?
C'est un milieu auquel je ne suis pas complètement
étrangère. J'ai grandi dans une
famille bourgeoise assez classique, très saine,
ouverte et tolérante. Mais chaque milieu a
ses extrêmes, et j'ai vu autour de moi des
gens qui n'étaient pas aussi bien lotis que
moi. Ils étaient entourés d'individus pour qui
leur histoire de famille était aussi importante
que l'histoire de France. Ils imposaient leur
façon de penser, leur moralité, à coups de
préceptes complètement étriqués. Grandir
dans ce genre de famille, c'est étouffant et
c'est ce que je voulais montrer...J'ai donc dû
faire de longues recherches sur les pratiques
intégristes catholiques, comme le rite tridentin,
que le pape a récemment désavoué. C'est
presque une autre religion.
Une autre religion, où la maladie
mentale n'est pas considérée ?
Exactement. Certes, Thierry est malade
mentalement, mais on refuse de le soigner
car dans ce genre de milieu, la maladie est
une tare. On ne peut pas admettre que tu
sois psychiquement malade, donc on ne te
soigne pas. C'est la concomitance de deux
choses, qui fait de Thierry un personnage si
dangereux : des troubles très graves qu'il faut
soigner psychiatriquement et un milieu qui
s'obstine à ne pas reconnaître sa maladie.
Est-ce que vous allez continuer à
déconstruire les mécanismes de
l'emprise, dans vos romans à venir ?
Pas nécessairement, j'ai d'autres types
d'histoire en tête. Je suis en train d 'écrire
un second roman. C'est une fiction qui se
penche sur un couple qui va bien mais qui,
suite à un événement tragique, se sépare, car
ils n'ont pas la même manière de vivre cette
épreuve. J'ai aussi coécrit un scénario avec
une comédienne française, qui est en cours
de production. C'est un road trip mère-fils,
dont l'héroïne devrait être interprétée par
Charlotte Gainsbourg. Ça ne parle pas d'emprise,
mais de filiation, un thème qui me
passionne aussi.
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