ESCP ALUMNI magazine - #199 - Septembre 2022 - 22

Dossier ❙ Interview
Propos recueillis par Arthur Jeanne
« Le télétravail peut être
une source de dangers »
Alors que la flexibilité s'impose un peu partout, peu de voix s'élèvent pour remettre en question
l'avènement du télétravail. Parmi elles, Christophe DESPERIES (MBA 03), neuropsychologue et
expert santé mentale au travail pour le cabinet Stimulus France. Décryptage.
aussi productifs qu'avant et que cela peut leur
permettre d'économiser des mètres carrés.
Face à cette pensée commune, dire que le
télétravail peut être une source de risque n'est
pas forcément entendu.
Christophe DESPERIES (MBA 03)
neuropsychologue et expert santé mentale
au travail
Bonjour Christophe, comment
analysez-vous l'avènement du
télétravail depuis la crise liée à la
Covid 19 ?
Christophe Desperies : J'ai la sensation
avec désormais un peu de recul que nous
sommes face à une situation un peu ambivalente.
Certaines personnes sont très intéressées
et très heureuses de la transformation du
travail, car il existe la possibilité de travailler
autrement. Cela a certes été forcé, mais certains
y ont trouvé de nouvelles habitudes,
de nouveaux repères qui leur conviennent.
Derrière il y a un message porté de manière
quasiment unanime par l'opinion publique :
le télétravail c'est bien car cela permet à chacun
d'avoir davantage d'autonomie et de
sérénité pour travailler.
Ce postulat vous dérange ?
C.D : Ce qui m'embête c'est qu'on a du mal à
entendre des messages contradictoires à cette
pensée commune sur le télétravail. On voit
que même les entreprises l'encouragent en
majorité. Car les collaborateurs sont souvent
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Justement, quels sont selon vous les
dangers du télétravail ?
C.D : Quand on regarde la question du télétravail
sur un plan neuro cognitif comme moi,
en tant que neuropsychologue, on réalise
que certaines personnes sont en surcharge
cognitive. Ils sont mis face à une somme
importante de stimuli venant de toutes part
(les sollicitations électroniques qui se sont
renforcées, les visioconférences à forte charge
attentionnelle, les tâches à exécuter qui sont
favorisées par un bon niveau de concentration,
les sollicitations de tout ordre : votre
conjoint qui a oublié ses clefs, les taches habituelles
qui interviennent à n'importe quel
moment tel la gestion des enfants...) Le
salarié à la maison est soumis à une espèce
d'infobésité qui peut engendrer des difficultés
à segmenter ce qui est important et ce qui ne
l'est pas. C'est bien d'être chez soi et de garder
ses enfants pendant qu'on télé-travaille,
sauf que sur le plan de la charge mentale,
le travail de la personne s'alourdit. De plus,
elle va devoir s'organiser dans un espace de
travail pas forcément adapté et en parallèle
ajouter à son travail quotidien des « tâches
parasites ».
Le risque c'est le décloisonnement
total entre la vie professionnelle et
la vie privée ?
C.D : L'absence de limites claires entre le
travail et le non travail est effectivement un
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aspect négatif. Aujourd'hui la porosité est
majeure et on s'y est habitués. On peut considérer
que si on a la possibilité d'aller chez le
médecin pendant ses heures de travail c'est
bien, mais à l'inverse, le corollaire implicite,
c'est souvent qu'il faut travailler pendant les
week-ends. Cette porosité peut déstructurer
le rythme de vie nécessaire à l'équilibre des
personnes, or on sait bien que l'on a besoin
de routines quotidiennes pour se rassurer,
s'alléger l'esprit...
Il y a aussi un risque de perte de lien
social.
C.D : Selon plusieurs études c'est assez dramatique.
Il y a en effet un délitement complet
du lien social que je constate au quotidien
dans les entreprises. Grâce aux réseaux
sociaux et aux applications de visioconférence,
des modes de communication efficaces
ont certes été développés, mais ça n'est pas
pareil du tout. Pour synthétiser, le télétravail
c'est bien souvent, une grande charge de travail,
une marge de manœuvre qui vous donne
une sorte d'illusion de liberté à laquelle vous
ajoutez une absence de lien social. C'est
un tryptique qui favorise la vulnérabilité en
matière de santé au travail, d'autant qu'aller
au travail c'est aussi très identitaire. Les
gens sont souvent fiers de travailler pour telle
entreprise ou entité, d'en parler à leurs amis.
C'est constitutif de leur identité. Et le télétravail
suppose avec le temps, un délitement du
lien identitaire à l'entreprise.
Il n'y aurait donc aucun avantage au
télétravail ?
C.D : Je ne dis pas ça, je dis que les gens ne
réalisent pas toujours immédiatement que

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