ESCP ALUMNI magazine - #198 - Mai 2022 - 71

Campus ❙ À la rencontre d'un étudiant
à l'utilisateur, il l'indique, en swipant à droite
ou à gauche. On fait les comptes à la fin, pour
savoir quel candidat semble le plus correspondre
à sa sensibilité politique, en établissant
un classement entre les postulants à l'Elysée.
L'idée, ce n'était pas de donner une consigne
de vote, mais de permettre aux gens de mieux
comprendre les programmes.
Elyze a été souvent qualifié de Tinder
politique. Tu penses quoi de cette
analogie ?
On a bien sûr repris le principe du swipe, qui
a été popularisé par les sites de rencontre. On
est ludique sur la forme en reprenant les codes
de notre génération, mais on ne veut surtout
pas transiger sur le fond : l'application génère
de manière aléatoire autant de propositions
par candidat, chacune accompagnées d'un
« En savoir plus », un petit texte récapitulant le
contenu de chaque mesure. On voulait aussi
que l'indice de fiabilité soit rigoureux, pas
comme sur certains sites, où on est catégorisé
politiquement au bout de 10 questions. Avec
Elyze, on estime qu'il faut 100 swipes, pour
permettre de savoir avec quel programme on
est le plus compatible. Ça demande qu'on y
consacre un peu de temps, mais ça marche :
on a eu très peu de retours de personnes qui
estimaient avoir un classement incohérent
avec leurs idées.
Elyze a pour but premier d'expliciter
et de présenter les programmes. On
entend souvent que plus personne
ne les lit justement. Est ce que vous
vouliez combler un manque ?
On constatait effectivement que cette campagne
était très focalisée sur les personnalités.
On parlait très peu des sujets de fond.
Quand tu dis que les gens ne lisent plus les
programmes, je le regrette. Notre objectif
prioritaire, c'était d'abord de faire un travail
de pédagogie, pour rendre plus accessible les
projets.
Tu regrettes l'hyper personnalisation
de la vie politique ?
Par forcément. Honnêtement, il ne s'agissait
pas de nier l'importance des personnalités,
mais plutôt de rééquilibrer l'ensemble. J'ai en
mémoire une émission politique ou un chroniqueur
disait: « Vous ne vous rendez pas compte,
la présidentielle, c'est une incarnation ». Je ne suis
pas forcément en désaccord avec ce postulat,
mais est ce que ca doit pour autant nous
induire à minorer l'importance des mesures
proposées par les candidats ? A mon sens,
non: une personnalité est toujours au service
d'un projet.
Justement, comment avez-vous fait
pour présenter ces projets de manière
synthétique, via l'application ?
Ça a été deux mois de travail intensif. Le boulot
éditorial a été effectué par une trentaine
de bénévoles des Engagés. Il a fallu résumer
les propositions des candidats et les enrichir
de textes explicatifs. Ensuite, il a fallu continuellement
mettre à jour les propositions des
candidats, qui ont été pour certaines dévoilées
ou modifiées au fur et à mesure de la campagne.
On a lancé l'application le deux janvier,
mais le travail éditorial a en réalité continué
jusqu'au 24 avril.
Elyze a cartonné, en totalisant plus
de deux millions de téléchargements.
Tu t'attendais à un tel succès ?
Evidemment, on ne pouvait pas anticiper ça.
Beaucoup nous expliquaient avant le lancement
d'Elyze qu'une application politique
ne pourrait jamais fonctionner, précisément
parce que les jeunes ne s'intéressent plus
à l'action publique. A mon sens, le succès
d'Elyze prouve que le combat contre l'abstention
n'est pas perdu d'avance : les jeunes ne se
désintéressent pas forcément de la politique,
à condition de les y sensibiliser à travers de
nouveaux outils.
Cette fois, 40 % des moins de 34 ans
ne sont pas allés voter au premier
tour de l'élection présidentielle.
Tu ne constates tout de même pas
une dépolitisation massive de la
jeunesse ?
Les jeunes ne sont pas dépolitisés. Ils votent
simplement moins. Ce n'est pas parce que tu
es engagé sur certaines thématiques ou sujets
que tu vas forcément voter. Pourquoi ? Parce
que le vote n'est plus perçu comme l'outil
d'expression civique le plus efficace et impactant.
Beaucoup de jeunes me disent : « A quoi
bon aller voter ? Autant s'engager différemment,
ca marchera mieux. »
Tu as co-écrit « Génération engagée »,
un ouvrage publié en 2021 sur ces
formes d'engagements alternatives.
Qu'est ce qui les motivent ?
Ce qu'on constate, c'est qu'il y a une exigence
ESCP Alumni Magazine numéro 198 ❙ MAI 2022
de résultat rapide chez les jeunes de notre
génération, d'où la frustration qu'on peut ressentir
quand on s'engage de façon partisane.
Déjà, il faut que le candidat soit élu. Ensuite,
une fois élu, il faut du temps pour que ses
mesures aient un impact. Le temps de l'action
publique génère beaucoup de frustration
aujourd'hui. Les engagements ponctuels,
comme le Z event (NDLR: un projet caritatif
réunissant des streameurs et Youtubeur
célèbres, afin de récolter des dons permettant
de soutenir une association), ont du sens, car
on voit tout de suite et de façon transparente
l'impact de l'initiative et de sa mobilisation.
Personnellement, je pense que si on veut aller
au bout du processus et changer vraiment les
choses en profondeur,
on doit aussi
voter, parce que ce
sont nos élus qui
peuvent donner un
débouché politique
aux mobilisations
dans la rue et sur les
réseaux. C'est l'idée
qu'on essaie de faire
passer via Elyze et
les actions de terrain
des Engagés.
Est ce que les
candidats n'ont pas aussi échoué à
capter l'attention de l'électorat jeune,
via les nouveaux médias comme
Youtube et Twitch ?
Aujourd'hui, les politiques sont sur ces
réseaux, mais ils n' y sont pas forcément très
convaincants et cohérents. Pourquoi ? Ce qui
différencie ces nouveaux médias des anciens,
c'est peut être une exigence de spontanéité
et d'authenticité plus importante. Au JT de
TF1, une forme de solennité est attendue de
l'élu. Mais s'il adapte le même ton, les mêmes
éléments de langage, les mêmes postures sur
Twitch ou Youtube, il s'expose à des critiques
et un retour de bâton important.
Pour finir, quel avenir envisages-tu
pour Elyze ?
Ces dernières semaines, on était entièrement
focalisé sur la présidentielle, il a fallu
notamment optimiser notre fonctionnement
pendant l'entre-deux tours. Les suites
potentielles pour Elyze restent floues, je
pense que cette réflexion se construira dans
un second temps.
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