ESCP ALUMNI magazine - #197 - Février 2022 - 65

Campus ❙ Green is good !
l'idée du Crédit Agricole était de proposer
les crédits les moins chers possibles aux
agriculteurs. Cela a changé. On est parti
d'une structure coopérative pour aller vers
de grandes aventures capitalistes ayant pour
seule logique le profit et le cours boursier.
La solution peut-elle être ce que l'on
appelle la croissance verte ?
CS: Selon moi, c'est mal poser le problème.
La croissance verte est un mythe pour
continuer à faire pareil. Nous ne sommes
pas anti-croissance ou décroissants. Mais
il faut poser le problème autrement, non
plus en termes quantitatifs mais qualitatifs
: mieux vivre et non consommer et donc
produire plus.
Il n'y a de
solutions que
dans la réduction
des inégalités.
En quoi ce capitalisme débridé a-t-il
eu un impact sur la situation de la
planète ?
CS : Le jour du dépassement est le jour où
la planète consomme plus que ce qu'elle
peut fournir. Ce jour arrive aujourd'hui le
29 juillet alors qu'il se situait le 29 décembre
en 1970. C'est allé très vite : le capitalisme
nous a poussé vers une fin du monde, le
mot est peut-être un peu fort mais l'idée
est là.
FG : Le capitalisme s'est imposé comme la
seule solution alors que précisément, dans
sa mécanique interne d'accumulation, il a
tendance à être un prédateur massif de la
planète car il engendre une surconsommation.
Et si on creuse, on s'aperçoit que seulement
10 % des plus riches de la planète
créent plus de 50 % des émissions de CO2
Il y a une concomitance entre la croissance
des inégalités et la croissance de la prédation
ce qui veut dire qu'il n'y a de solution
que dans la réduction des inégalités. Or
ces inégalités sont structurelles au capitalisme
-« l'argent va à l'argent »-, s'il n'existe
pas de contre-pouvoir.
CS : Nous estimons que l'effondrement
n'est pas inévitable, fort heureusement. Il ne
s'agit pas de retourner à la lampe à huile
mais à une société tout simplement vivable
qui offre des perspectives.
FG : Il y a eu des marchés concernant des
droits à polluer mais ces marchés s'inscrivent
dans une logique purement libérale.
Cela ne peut fonctionner qu'avec des
quotas de plus en plus restrictifs (la seule
expérience réussie est celle de l'abandon des
CFC pour préserver la couche d'ozone). Or
les marchés de compensations actuels sont
peu restrictifs et mal contrôlés. On plante
de la forêt d'épineux pour compenser de la
déforestation en Amazonie, alors que ça ne
correspond pas du tout à la même chose !
.
C'est ce qui vous pousse à avoir
des mots assez radicaux ? Vous
parler de « neutraliser la partie
du système financier qui cherche
en permanence à gagner du 20 % »
et vous évoquez Keynes et son
« euthanasie des rentiers ».
CS : Dans les années 80, 90, à ESCP, comme
dans toutes les grandes écoles et dans les
grandes entreprises, on parlait de création
de valeur. Et on considérait qu'il y avait
une création de valeur lorsque l'actionnaire
obtient une rentabilité supérieure à
15 %. C'est ce modèle de création de valeur
qui nous mène dans le mur ! A la Société
Générale par exemple, les structures
internes permettaient que des gens comme
Jérôme Kerviel prennent des risques inconsidérés.
Autre exemple, plus grave, aux EtatsUnis
où, toujours sur ce modèle de création
de valeur, s'est développée une titrisation
effrénée aux cours des années 80 et au début
des années 2000. Ça a provoqué une fuite
en avant du crédit qui a généré la crise de
2007 qui est une crise d'origine exclusivement
financière mais qui a mis l'ensemble
du capitalisme mondial en échec. Piketty
dit que le taux de profit moyen standard
doit être égal au taux de croissance. C'est
ce qu'on appelle la croissance équilibrée.
Actuellement le taux de croissance est de
quelques pourcents. Le taux de profit ne
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peut donc pas être de 15 % ou 20 % c'est
absurde ! On atteint ces pourcentages-là
qu'en prenant des risques inconsidérés : par
des effets de levier, de la titrisation ou des
manipulations financières.
FG: Le problème n'est pas le profit en
lui-même. Le problème c'est le profit non
réinvesti. Ce qu'on appelle la rente. Quand
on veut investir dans la rénovation énergétique,
cela représente des investissements
énormes en termes de montant et avec
des taux d'amortissement qui s'étirent sur
20 ans. Ça veut dire une rentabilité qui ne
dépasse pas plus de 2 ou 3 %. On voit bien
que ce n'est pas compatible avec le système
capitaliste actuel qui peut gagner 15 % ailleurs.
Les capitaux ne se dirigent pas spontanément
dans cette direction.
Le problème n'est
pas le profit en
lui-même, c'est
le profit non
réinvesti.
On trouve dans votre livre une
proposition surprenante : taxer la
publicité.
CS : La publicité est une injonction à la
surconsommation qui utilise des failles dans
la construction humaine. Les publicitaires
utilisent nos faiblesses. Et c'est une activité
qui de fait est très peu taxée car l'essentiel
de nos taxes sont des taxes à la consommation.
La publicité se trouve de fait exonérée
de TVA donc exonérée de l'essentiel des
impôts. C'est aberrant ! Il faudrait taxer la
publicité afin de la faire diminuer.
FG : Cette imposition de la publicité se justifie
parce qu'on consomme deux planètes
par an ! Et la publicité est l'instrument qui
amplifie cela.
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