ESCP ALUMNI magazine - #197 - Février 2022 - 36

Carrière ❙ La grande interview
diversifier ses marchés et ne pas être totalement
dépendante des marchés américain
et Européen. Donc ils se sont ouverts et
diversifiés, et commercent maintenant avec
l'ensemble de la planète.
La Chine prend-elle sa part sur
la diminution du réchauffement
climatique ?
Il y a eu un changement clair depuis l'arrivée
du Président Xi en 2012. Il a introduit
cette notion, il a créé l'idée de ne pas faire la
course au PNB, comme ses prédécesseurs, et
il a introduit la notion de croissance qualitative,
pas simplement quantitative. Le récent
slogan de « prospérité commune » va dans
ce sens. L'environnement, c'est un enjeu
considérable pour la Chine. Au début de
la politique de reforme et d'ouverture de la
Chine, tout l'Occident était content d'avoir
exporté ses industries polluantes en Chine,
et la Chine était contente de les accueillir.
Puis, avec la crise financière de 2009 et
l'arrivée de Xi Jinping en 2012, le modèle
de développement de la Chine s'est transformé,
et la protection de l'environnement
a pris une place de plus en plus importante
dans l'agenda du gouvernement chinois.
La Chine a participé à l'accord de Paris en
2015 (COP 21), et aux COP successives
jusqu'à la déclaration commune avec les
Etats-Unis en novembre dernier (COP 26),
avec un engagement ferme des pouvoirs
publics chinois sur un certain nombre de
cibles. Ils sont très déterminés là-dessus.
Une de mes grandes découvertes, c'est
que tous les membres du gouvernement à
l'échelle nationale, provinciale ou au niveau
d'une ville ont des cibles. Ils ont des cibles
pour faciliter la création d'emploi, stimuler
les investissements, augmenter le PIB
(et par la même augmenter les recettes
fiscales), et maintenant ils ont aussi des
cibles liées à à la protection de l'environnement.
D'une façon générale, ces gouvernements
sont extrêmement pro business.
Ce sont des gens qui raisonnent d'abord
en création de richesse et d'emplois, avec
des cibles. Et maintenant ils ont aussi des
cibles sur la production de CO2 et d'énergie
renouvelable.
Un dernier point qu'on perçoit mal
de l'étranger ?
J'ai parlé du rôle clé des entrepreneurs
chinois dans le développement de ce pays.
36 ❙
Mais il faut aussi parler du gouvernement :
aux postes à responsabilités du gouvernement,
ce sont des gens très compétents.
Leur système est un système de sélection
et de cooptation de leaders, ce qui fait
que les gens qui dirigent la Chine sont les
plus compétents : ça ressemble à la gouvernance
d'une entreprise. Au début de
leur carrière, ils ont géré une petite ville,
puis une moyenne, puis une province, puis
une grande ville, etc... Et leur personnel
administratif est d'une qualité remarquable,
ils sont pro business... Enfin, il y
a leur capacité de faire des plans à vingt
ans, créer des infrastructures comme leur
TGV, des aéroports, des autoroutes... Par
exemple, il y a un train entre Hong Kong
et Shenzhen, une des Silicon Valley de la
Chine, qui prend 20 minutes, donc ça crée
des opportunités pour désenclaver Hong
Kong. Finalement, on peut rapprocher ce
modèle de nos 30 Glorieuses : il y avait en
même temps des grands programmes tirés
par le gouvernement, par exemple dans le
nucléaire, l'espace, l'aéronautique, mais il
y a eu aussi de grands entrepreneurs qui
ont créé des leaders mondiaux comme
Bouygues, Carrefour, Accor, Auchan etc ...
Ne pas vouloir
tout faire en
interne, savoir
déléguer des
étapes à d'autres
entreprises et se
faire confiance
pour réussir
ensemble, c'est
maintenant une
règle qu'on trouve
dans toutes les
start-ups
en Chine.
ESCP Alumni Magazine numéro 197 ❙ FÉVRIER 2022
Pas de critiques contre la Chine,
vous ne râlez contre rien : où est
votre part de franchouillardise ?
Je ne veux pas me voiler la face sur ce que
la Chine ne fait pas bien mais je voulais
donner une image plus équilibrée, parce
que ce qui me désole le plus, c'est que la
Chine fait un assez mauvais travail pour
dire au monde ce qu'elle fait de bien ! Vous
voulez comprendre la Chine ? Pour faire un
travail d'analyse intelligent, il faut essayer
d'accumuler un certain nombre de points de
vue différents, et se faire sa propre opinion.
Aujourd'hui je vous propose mon point de
vue, fondé sur mon expérience de 16 ans.
Pour éclairer mon propos, je vous propose
de méditer sur la parabole des aveugles
et de l'éléphant : quelques aveugles sont
dans une ville d'Asie et on leur dit qu'un
animal nouveau vient d'arriver qui est un
éléphant. Ils se précipitent pour toucher cet
animal pour se faire une idée de ce qu'il est.
L'un touche la trompe, qui est souple et un
peu visqueuse, l'autre les défenses, qui ressemblent
à une lance, un autre les pattes et
pense à un tronc d'arbre, un autre encore la
queue qu'il prend pour un fouet... Au final,
chacun a sa définition de l'éléphant, et ils
ne sont pas d'accord et se disputent. Jusqu'à
ce que l'un d'entre eux propose d'agréger
les points de vue pour parvenir à une description
assez précise de l'animal. Et bien la
Chine, c'est comme l'éléphant, il faut juste
agréger plusieurs points de vue pour avoir
une perspective d'ensemble...
❙
Bruno Lannes en 5 dates
1978 : diplôme de ESCP
1983 : MBA Wharton
2006 : arrivée en Chine
2013 : reçoit la médaille d'honneur
de la ville de Shanghaï
2021 : Fête ses 30 ans chez Bain
ESCP ALUMNI magazine - #197 - Février 2022

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine - #197 - Février 2022
