ESCP ALUMNI magazine - #196 - Hiver 2021 - 19

Dossier ❙ Reportage
a vu juste : « C'est un révélateur qui doit me
conduire à travailler de ce côté-là », acquiesce
la Directrice Générale.
trotter...). Dans la foulée, les formateurs leur
brossent tour à tour un portrait psychologique
devant leurs collaborateurs. Une heure plus
tard, cette fois-ci, les avis sont unanimes :
« J'ai été impressionné par la justesse des traits
de caractères qu'ils peuvent déceler en quelques
minutes », témoigne Alexandre.
À peine ce dernier s'était-il avancé vers le
cheval, qu'Arnaud Camus et Laurence Flichy
avaient déjà écrit « apaisant » dans leur carnet.
Comment est-ce possible ? En observant, non
pas la posture de la personne, mais celle de
l'animal. « Le cheval peut bailler, fermer un oeil
ou se relâcher avec une encolure plus basse : c'est
le signe de l'apaisement », explique le fondateur
de l'académie, qui est capable de décrypter
cinquante-quatre points de lecture chez
l'animal. « Depuis 30 ans que nous sommes
éleveurs, on a regardé les chevaux comme des
bateaux sur l'eau. Et on a vérifié 100 fois qu'un
cheval qui se roule par terre, c'est qu'il se sent
dans un état de confiance ultime. »
« Mais comment arrive-t-il à nous
mettre à nu ? »
Quand il prend les rênes de Knauf Insulation
en 2019 - une entreprise spécialisée dans le
secteur de l'isolation -, Yann Ditsch cherche
une idée originale pour un séminaire avec
son comité de direction. Son objectif ?
« Sortir du cadre » des formations axées sur
la performance commerciale. « Je voulais
vraiment proposer quelque chose d'enrichissant
professionnellement, mais également d'un point
de vue humain. » Il opte alors pour l'Académie
équicoaching qui lui semble la bonne option
pour développer les soft skills de son équipe.
En juillet 2020, lors de ce séminaire dans
l'Orne, lui et ses collaborateurs se retrouvent
pour la première fois physiquement depuis
le confinement du printemps 2020. Et eux
aussi sont impressionnés par l'exercice du
miroir. « On a tous appris quelque chose sur
nous-mêmes, atteste Yann Ditsch. Chacun s'est
reconnu dans sa description psychologique... Sur
le coup, vous vous dîtes : 'mais comment arrivet-il
à nous mettre à nu ?' »
Cela s'explique d'abord par l'hyper sensibilité
des chevaux. « Ce qui leur confère la capacité
d'être le miroir de nos émotions. Ils captent
même des émotions dont nous ne sommes pas
conscients », dévoile Laurence Flichy, qui
avait consacré son mémoire de fin d'étude
à l'équithérapie. En effet, à la différence de
l'homme, le cheval, lui, n'a pas d'ego. Sa
réaction est sans filtre ni jugement. « Que vous
soyez un homme ou une femme, jeune ou vieux,
ça lui est égal : il s'intéresse à qui vous êtes en
vrai, appuie la formatrice. Et puis, ce que vous
allez faire, ce ne sera jamais bien ou mal. Ce sera
adapté ou pas à la situation. » Bref, ce serait le
coach idéal.
D'ailleurs, le cheval ne fait pas non plus de
différence dans les rapports hiérarchiques.
L'équicoaching peut agir comme un
révélateur. Il expose parfois les participants
à des vérités difficiles à entendre, met un
supérieur hiérarchique face à un écueuil que
ses collaborateurs n'osent pas exprimer dans
le cadre du bureau. Après son passage face
au « miroir », où elle a réussi à faire trotter
une jument indocile, Isabelle a été décrite
par Arnaud Camus comme une manageuse
« passionnée et exigeante », qui pourrait
écrire « toujours plus haut » sur la plaque de
son bureau. Enrobé dans des compliments,
Laurence Flichy lui a glissé une remarque :
« tu demandes beaucoup aux autres, quelques
fois, il y a saturation, et tu ne repères pas tout
de suite les signaux faibles ». Lui avait-on déjà
dit cela par le passé ? Non, mais le cheval
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Prise de conscience
Yann Ditsch, lui, a été tellement séduit qu'il
a emmené une deuxième fois son comité
directeur à une formation d'équicoaching
à l'été 2021. « On ne change pas du jour au
lendemain, mais on a tous évolué dans notre
manière de communiquer, à plus ou moins haut
niveau d'intensité », confie avec du recul le
DG de Knauf Insulation. Concrètement, il se
souvient d'un exercice, en duo celui-ci, entre
une personne à cheval les yeux bandés et son
binôme chargé de le guider. En l'occurence,
ce jour-là, un membre de son équipe à la
personnalité très directive n'avait pas su se
faire comprendre de son coéquipier ayant
les yeux bandés... ce qui n'était pas sans
rappeler des situations vécues dans la vie
professionnelle. « Ce collaborateur a compris
que son mode de communication n'était pas
le bon et il s'est remis en question », révèle
le directeur général de Knauf Insulation.
« Depuis, il a fait un pas de géant en tant que
manager. »
Mais comment décrire honnêtement
quelqu'un quand le cheval renvoie des
signaux négatifs et que cette personne est
votre client ? « Ce qui nous signe, c'est d'être
dans la bienveillance et non dans le jugement »,
déclare Arnaud Camus. Depuis 2009, le
fondateur de l'Académie équicoaching a vu
passer au haras toutes sortes de personnalités.
« Des gens violents, on en a vu. Si le cheval
s'en va ou manifeste un mécontentement, on
va essayer de faire changer à la personne son
attitude jusqu'à ce que le cheval change d'attitude
lui aussi. »
Retour dans le manège avec la « dream team »
d'Isabelle. Après avoir été mis en confiance
par les formateurs, Patrick, qui déclarait
au préalable avoir « une peur bleue » des
chevaux, sera finalement le premier surpris
d'avoir réussi à diriger le cheval dès le premier
exercice. « J'ai vaincu une peur », dit-il à chaud.
Le déclic ? « J'ai senti le cheval avec moi donc je
n'ai pas senti le danger. » Deux jours plus tard,
à la fin du séminaire, sa phobie des équidés
a complètement disparu. Désormais, Patrick
envisage même l'idée de monter à cheval. ❙
* Les prénoms ont été changés.
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