ESCP ALUMNI magazine - #195 - Automne 2021 - 73

Interview croisée ❙ Julien Sibony et Bertrand Usclat
Quels sont les ressorts classiques de
la comédie ?
JS : Une comédie, c'est souvent un
personnage prisonnier de son caractère, qui
se confronte au réel, qui devrait s'adapter au
réel mais qui ne s'adapte pas. Ce qui est sûr,
c'est que n'importe quel pitch de comédie
est un drame pour le personnage. Il n'a pas
conscience de vivre une comédie.
BU : Il y a un principe en comédie c'est celui
de la marche trop grande, le personnage qui
se fixe des objectifs trop hauts, c'est hyper
drôle. Quand c'est des tout petits trucs dans
lesquels les personnages se prennent les
pieds. Par exemple, Parks and Recreations
me fait mourir de rire.
JS : L'obsession est un aussi ressort qui
fonctionne. Un personnage prêt à tout
pour une fille, pour gagner, pour ne pas
aller dans le Nord... Il ne renonce à rien
et fait fi de la morale, alors qu'en tant que
spectateurs on a conscience de l'absurdité
de sa démarche.
BU : On en revient à ce que tu disais, mais
la vraie tragédie, c'est la comédie. Le héros
comique n'obtient pas ce qu'il veut, et son
échec est drôle. Alors qu'en tragédie, ils
vont au bout de leur démarche. Certes, à
la fin ils meurent. Médée bouffe ses enfants,
mais elle se venge. Dans la comédie, si l'on
réfléchit bien, il y a une célébration de
l'échec que l'on aime bien.
JS : Il y a quelque chose de l'ordre de
la consolation. La comédie console parce
qu'il y a pire que nous. Parce que nous
avons tous les mêmes faiblesses.
Julien, en tant que scénariste, quel
est ton rôle quand tu écris une
comédie ?
JS : Je me dis que je dois donner des
munitions comiques au comédien. Ensuite
quand ce que tu écris s'incarne, c'est grâce
au comédien. Nous écrivons une situation
qui est potentiellement drôle et nous
donnons les clés du camion à un comédien
en se disant pourvu que ça fonctionne.
Un des grands génies comiques français,
c'est Feydeau. Va voir Feydeau mal joué.
Ce sont deux heures épouvantables. Alors
que quand la mayonnaise prend et que les
acteurs sont bons c'est génial.
JS : Elsa Zylberstein qui joue dans Selfie, a
fait de la comédie et du drame. Elle dit que
pour elle en tant qu'actrice il n'y a aucune
différence entre les deux. Il s'agit de rentrer
dans le personnage. C'est le personnage
qui est marrant ou non, et c'est sa sincérité
pour jouer ces émotions qui va faire que
ça marche.
Apprendre
que cela n'est
pas grave de
pas être drôle
permet aussi
d'être très
marrant.
C'est donc l'acteur qui serait
« responsable » de l'humour ?
BU : C'est en tout cas ce que disait Louis
de Funès qui est un génie. Le vrai auteur
dans la comédie, c'est l'acteur. Je suis assez
d'accord avec ça.
JS : Les comédiens ont un talent que les
scénaristes non pas, c'est l'expression
corporelle. Bertrand, mais aussi Manu
Payet, Blanche Gardin ou Mr Fraize dans
Selfie pimpent ta scène. Ils s'emparent d'un
personnage ou d'une situation.
BU : A l'inverse c'est hyper dur de rendre
drôle quelque chose qui ne l'est pas à l'écrit.
Il y a parfois un risque a vouloir rendre
drôle une situation qui n'a pas vocation à
l'être. Le résultat peut être catastrophique.
ESCP Alumni Magazine numéro 195 ❙ AUTOMNE 2021
Faire rire est un art délicat ?
JS : Tout à fait, une syllabe ou un mot en
trop peut tout foutre en l'air. La comédie,
ça ne tient à rien. Ça peut foirer à n'importe
quel moment.
C'est quoi la clé pour être drôle
quand on est comédien ?
BU : Il y a une histoire de perte de
contrôle qui est très importante. Il faut
prendre le risque de se ridiculiser quand
tu improvises. Apprendre que cela n'est
pas grave de pas être drôle permet aussi
d'être très marrant. Il faut avoir une sorte
de lâcher prise.
JS : Je pense être assez drôle dans ma vie
quotidienne, mais si tu me donnes une
blague je la foire, si je la raconte sur scène
les gens ne vont pas rire. Toi Bertrand, tu as
ce talent de comédien. Il y a un moment où
tu as réalisé que tu étais drôle ?
BU : Plus qu'être drôle, j'ai pris conscience à
l'enfance que quand je parlais ça intéressait
plus que quand d'autres parlaient. Pourquoi
mon exposé sur les loups était mieux
que l'exposé sur les chevreuils de mon
camarade ? Parce que j'aimais prendre
la parole. J'ai le sentiment qu'il y a des
moments je peux être maitre de l'attention
qui est portée sur moi en fait. Le drôle est
arrivé comme une fuite de responsabilité.
Faire un exposé sur les loups et être
passionnant c'est une charge qui est trop
grande. Faire des blagues c'est une manière
de s'excuser que ça ne soit pas super. Le rire
vient pour désamorcer des trucs qui sont
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