ESCP ALUMNI magazine - #195 - Automne 2021 - 30

Carrière ❙ Parcours singulier
Par Théo Denmat
Sur la planche
À 40 ans, Benoît Planchon (05) a voyagé dans plus de pays que vous. Vu plus de plages, surfé
plus de vagues et, probablement, sauté dans plus de volcans. Soit exactement ce que la vie ne
lui promettait pas. Aujourd'hui professeur de kitesurf en Bretagne, l'apprenti trader a fait de son
destin ce que l'on réserve aux héros de Western : troquer la bourse pour la vie.
Benoît PLANCHON (05)
fondateur Happy Kite school
U
n premier jour en amphithéâtre,
c'est un dépucelage avec Socrate.
On pense à Rome, à l'Académie
Française, à la Sorbonne de Marie Curie
et Christiane Taubira. On se serre les pinces
entre nouveaux, regards entendus, le poids
du lieu sur les épaules. La hauteur sous plafond
vous impose le silence, la vastitude
de la pièce exige l'attention. En bref, on se
rappelle de son premier amphi pour cette
impression de basculer dans le monde des
adultes, rarement pour la transcendance
du cours d'introduction. La « première »
de Benoît Planchon à l'ESCP, c'était autre
chose. Dans la matinée du 11 septembre
2001, précisément. « Le genre de truc dont
on se souvient ». À la place de l'habituelle
présentation réservée aux bleus, il eut droit
aux images de TF1. C'était la première fois
qu'il voyait New-York ainsi, « du haut »:
ses parents, grands voyageurs, l'avaient
emmené visiter la Grosse Pomme quand
il était gamin, après l'Espagne, le Portugal,
le Maroc et le Canada. C'est eux qui lui ont
donné la bougeotte. À 20 ans, il avait déjà
passé cinq ans de sa vie près d'Auxerre
et le reste à Enghien-les-bains, dans un
30 ❙
lycée posé juste à côté du casino, lui-même
posé sur le lac, entrée à 18€ la semaine,
16€ le weekend, jeans déchirés interdits.
En s'inscrivant dans une grande école,
il avait pensé suivre la lignée familiale
et grimper dans l'ascenseur social déjà
emprunté par ses parents, lui notaire,
elle greffière en chef aux Prud'hommes,
quand ses grands-parents étaient viticulteurs
à Sancerre. « J'ai longtemps dit que je
voulais être trader, un peu par appât du gain,
avoue-t-il aujourd'hui. Mais une fois en école
de commerce, c'était la décompression totale.
La liberté. Le fait d'habiter seul, de rembourser
un prêt étudiant... Et en fait, je n'y ai strictement
rien foutu. » Il y passe trois années;
la première à Paris, la deuxième à Oxford,
la troisième à Berlin, où il s'amuse plus qu'il
n'étudie, et découvre la saveur du voyage.
D'éphémères stages en banques « pour
le prestige » lui confirment qu'il n'est pas
fait pour cela. Dans le parcours tout tracé
- grandes études, grand groupe, salaire
attrayant - qu'il suit depuis son enfance,
il ne se reconnaît pas. Et à la sortie de l'école,
quand tous ses camarades embrassent des
carrières classiques, Benoît Planchon décide
de prendre la fuite. Fin 2005, avec sa petite
amie de l'époque et l'incrédulité de ses
parents, il remplit son sac et s'envole pour
un tour du monde.
La Mecque du kite
Ils partent pour l'Asie. Chine, Vietnam,
Thaïlande, puis le Tibet, 40h de 4x4 à flanc de
ravins. En Nouvelle-Zélande, ils découvrent
la chute libre au-dessus des volcans,
en Australie, c'est la plongée. Au Brésil,
Benoît rencontre le vent: sur la plage de
Jericoacoara, dans le pauvre Nordeste balayé
par un vent continuel qui sculpte les dunes
et gonfle les voiles, il apprend le kitesurf.
Là-bas, le soleil se lève et se couche six
mois de l'année à la même heure, comme
s'il allait au travail. C'est sa « Mecque »
à lui, où il se « découvre un peu (lui)même
». Au bout d'un an, le couple achète
une centaine de maillots de bains pour
femmes, des deux-pièces « échancrés mais
pas vulgaires »qu'ils revendent en France
dans des ersatz de réunions Tupperware.
Par manque de fric. Ce même manque de
fric qui le ramène en 2007, à 27 ans, sur
les rails de la destinée, quand il accepte
un travail de conseil en stratégie pour
Isbank, une banque stambouliote. « C'était
un désaveu personnel, dit-il. Tu remontes dans
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