ESCP ALUMNI magazine - #195 - Automne 2021 - 16

Dossier ❙ Apprendre à apprendre
Par Alexandre Doskov / Illustrations : Anne-Lise Boutin
Apprendre à apprendre
Dans le monde d'avant, les gens apprenaient un métier avant de l'exercer le temps d'une
carrière. Mais entre les reconversions, les carrières non linéaires et les compétences techniques
qui évoluent à vitesse grand V, il n'y a désormais plus un temps pour apprendre et un temps
pour travailler. Les raisons de se former et de continuer à apprendre tout au long de sa vie
professionnelle et même privée sont légion. Zoom sur un nouveau paradigme.
S
'il est une image d'Épinal qui résiste
au temps et aux époques, c'est celle
de l'écolier qui envoie valdinguer son
cartable à la seconde où retentit la sonnerie
annonçant le début des grandes vacances.
Le miroir inversé de cette scène séculaire,
c'est la mine déconfite du même gamin
le jour de la rentrée des classes. Associer
l'école à une punition et sa fin à une libération
est plutôt conventionnel et des œuvres
culturelles destinées au grand public ont
même participé à ancrer cette opposition
dans l'imaginaire collectif. C'est la chanteuse
Sheila, qui scande « La cloche a sonné, ça signifie
/ La rue est à nous, que la joie vienne / Mais
oui mais oui, l'école est finie. » C'est l'élève
Ducobu, qui se prend la tête à deux mains
quand il voit le retour des fournitures scolaires
dans les magasins, indice annonçant
l'arrivée imminente du mois de septembre.
L'autre constante de ces représentations
un brin naïves, c'est que celui qui apprend
est immuablement une personne jeune.
L'adulte, c'est celui qui travaille. Comme si,
une fois le parcours scolaire terminé, la question
de la formation était reléguée au rang de
souvenir. Un schéma qui suppose une rupture
nette entre le temps de l'apprentissage
et le temps professionnel, presque un blocage
suivi d'un redémarrage. D'ailleurs, toujours
selon les critères de l'inconscient collectif,
l'étudiant attardé est au mieux un sujet pour
comédies faciles dans lesquelles un trentenaire
doit retourner à la fac, par accident ou
par hasard, ce qui conduira immanquablement
à un enchaînement de scènes cocasses
utilisant la plupart du temps le fossé générationnel
comme ressort comique.
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Heureusement, la réalité est un peu plus
complexe que ça. Jean-Marc Tassetto
(80), co-fondateur de la plateforme de
digital learning Coorpacademy, le dit sans
ambages : l'enchaînement automatique
consistant à apprendre un métier
pendant quelques années puis à l'exercer
pendant les quarante suivantes a vécu.
« Le paradigme initial consistant à dire qu'il
y a un temps de la vie pour apprendre, puis
un temps de la vie pour travailler, et dans
ce temps pour travailler, de temps en temps,
je m'extrais douloureusement pour aller
apprendre, c'est fini. Ça ne peut plus être
adapté à un monde en constant changement
et à l'émergence de nouvelles compétences. »
Dans le fond, ces compétences que JeanMarc
Tassetto qualifie de ''nouvelles''
ne le sont pas réellement. Elles sont
simplement nouvellement mises en
valeur et recherchées par les entreprises.
Il s'agit de capacités comportementales ou
émotionnelles telles que la communication,
la créativité, la prise de décision,
l'adaptabilité ou la curiosité. En bref,
des atouts qui auraient une durée de
vie illimitée si on les compare à des
compétences techniques qui deviennent
obsolètes de plus en plus rapidement.
Savoir-faire et savoir-être
Chacun a sa façon d'appeler la chose.
Valérie Moatti, doyenne de ESCP Business
School, aime parler de ces « compétences
qu'on peut appeler savoir-être plus que de
savoir-faire. » D'autres préfèrent mettre
en avant la notion de soft skills, un terme
qui fait grincer les dents de Lucien Dalioli
ESCP Alumni Magazine numéro 195 ❙ AUTOMNE 2021
(98), responsable de la CyberSchool chez
le fournisseur d'électricité Enedis : « Je
n'aime pas trop le terme soft skills. C'est
comme s'il y avait des mous, des durs, puis
le dur c'est mieux que le mou... » Au-delà des
questions de sémantique, cette évolution
raconte l'évolution d'un monde où les
choses vont un peu plus vite qu'auparavant.
« Il faut une remise à jour, d'où cette notion
de life long learning, ou d'apprentissage tout
au long de la vie », indique Valérie Moatti.
« Je suis convaincue que le rôle de nos écoles
est de préparer nos étudiants à être créatifs,
curieux, à savoir s'adapter, plus que de leur
donner vraiment du contenu technique lié à
l'informatique ou au digital qui sera très vite
périmé, parce que ça évolue beaucoup. » Avant
d'apporter cette nuance : « Bon, il y a plein
de fondamentaux qu'on doit donner comme
bagage minimum à nos étudiants. Certains
contenus techniques ne sont pas obsolètes si
vite que ça. Calculer une valeur actuelle nette,
ça reste une valeur actuelle nette. »
Difficile de lui donner tort. En revanche,
les méthodes ou les logiciels utilisés
pour calculer ces fameuses valeurs
actuelles nettes sont amenés à évoluer
frénétiquement, ce qui nécessitera un
apprentissage quasi permanent de la part
de ceux qui doivent les utiliser. Fabienne
Olivier (00), qui a créé la plateforme de
networking Slashers, aime citer l'historien
Yuval Harari : « Il dit qu'on n'a aucune idée
de ce à quoi ressemblera le monde en 2050,
que la plupart des choses que les enfants
apprennent aujourd'hui deviendra inutile.
Donc la plus grande des compétences, ce sera de

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