ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021 - 20

Dossier  ❙  Vivre dans un monde incertain

du genre à traverser les turbulences « en
avançant comme un bulldozer. » Le faceà-face avec l'incertitude est en effet  un
véritable révélateur de personnalité et nul
ne peut nier l'importance des variables de
tempérament. De son côté, Thibault Guilluy
confesse une certaine appétence pour
l'adrénaline : « Ça peut être très stimulant, le
doute. Quand vous faites une partie de poker,
si vous avez un carré d'as, vous avez moins
de sensations que quand vous n'êtes pas tout
à fait sûr de votre main et que la personne en
face a peut-être une main meilleure que la vôtre.
C'est au moment où vous déposez le truc que
vous découvrez si ça le fait ou pas. C'est dans
ces moments-là que vous avez vraiment des
sensations. » Une convocation de la notion
de jeu qui fait écho à l'analyse de Philippe
Gabilliet : « La prise de décision en situation
d'incertitude met beaucoup plus en avant la
notion de pari. Une bonne décision quand je
ne sais pas trop ce qu'il va se passer, c'est une
décision que je prends. Et puis à partir de ce
moment-là, je vais tout faire pour la rendre
bonne » avance le professeur, en présentant une
version remodelée de l'adage de Mohammed
Ali : « Je ne crois pas aux bonnes décisions. Je
prends une décision, et je la rends bonne. »
Avoir une idée, la méditer, prendre le
temps d'en comprendre les tenants et les
aboutissants, peser le pour et  le contre,

l'appliquer, l'expliquer... Quand les repères
sont brouillés ou que le temps manque,
les étapes habituelles de ce processus
sautent les unes après les autres. Et
au-delà de la simple prise de décision,
c'est tout le mécanisme de la transmission
des informations qui est chamboulé.
Chargée des relations humaines, Céline
Gallon est quotidiennement confrontée
aux inquiétudes des employés de Qobuz.
Époque oblige, les préoccupations sont
nombreuses et elle fait face à un niveau
d'exigence inédit  : « Ce que ça interroge,
c'est la notion d'autorité. Il y a énormément
d'informations qui viennent de partout et qui
n'ont plus d'authentification. Du coup, il y a
un mouvement pour retrouver une autorité en
qui on peut avoir confiance. Ce que je vois chez
beaucoup de salariés, c'est qu'ils peuvent poser
deux ou trois fois la même question à deux ou
trois autorités différentes pour s'assurer que ça
se recoupe bien. » 2020, année de l'incertitude
généralisée, aura au moins eu le mérite de
mettre les structures à l'épreuve du feu, de
révéler celles qui possédaient les réponses
adaptées et  de mettre en lumière les
améliorations possibles.

« Si vous appliquez les règles, vous
êtes morts. »
Parmi les organisations les mieux préparées
à encaisser une situation de crise non prévue

figurent inévitablement les associations,
puisque l'hyper-réactivité fait partie de
leur ADN. Nour Heneine de Solidarités
International l'assure, « Quand tu travailles
dans une ONG, tu as le devoir de te réadapter
très rapidement, de te réinventer, d'avoir cette
flexibilité. La plupart des indicateurs pour
savoir si l'ONG fonctionne bien, c'est de
comprendre si, par rapport à diverses crises
qu'il y a eu, on a été capables de répondre
rapidement, de déployer des équipes, de
mettre en place des stratégies, du mobilier, du
matériel, des financements... » Par exemple,
Nour Heneine et Solidarités International
ont dû réadapter toutes leurs missions
existantes en urgence pour y intégrer des
réponses covid. Un effort auquel la jeune
femme a participé en ne connaissant pas ses
interlocuteurs, puisqu'elle a été recrutée en
plein confinement : « Encore aujourd'hui, je
ne connais pas tous mes collègues. C'est bizarre
de travailler en équipe par mail, par Skype. Il
n'y a pas cet esprit de travailler ensemble au
bureau, de faire la pause café, d'entendre des
choses dans les couloirs. C'est les petits détails
qui font vraiment la différence. Du côté des
équipes au siège, l'incertitude a impacté le moral
mais on travaille pour ne pas laisser ça trop
nous affecter. » À l'instar d'une ONG dont
l'activité s'accélère en période de troubles,
Camy Puech de Qualisocial revendique
trois fois plus de sollicitations pour des
entretiens psychologiques que par rapport
à l'an dernier. Pourtant, malgré le caractère
anti-cyclique de son activité, il considère
l'époque comme complexe  : « Quand tu
as une crise mondiale, toutes les cartes sont
rebattues. Je me suis retrouvé avec un niveau
d'incertitude que je n'avais pas connu depuis
longtemps. »
Même son de cloche du côté de Céline
Gallon et des équipes de Qobuz, qui ont
constaté une augmentation de leur charge de
travail puisque l'industrie du divertissement
digital a profité des quarantaines et des
confinements. Des circonstances qui ont
des répercussions sur la façon de travailler
de la chief people officer : « C'est quand même
un contexte très différent dans lequel opérer ce
métier. Il y a un sentiment d'accélération, il faut
être encore plus rapide. On n'a pas beaucoup
de temps pour se retourner et en même temps

20 

❙

ESCP Alumni Magazine numéro 193  ❙  1er TRIMESTRE 2021
ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021
