ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021 - 101

Culture ❙ Gaël Faye et Vincent Avanzi

Conversation poétique entre Gaël Faye et Vincent Avanzi (04)

« On peut attraper
un moment de joie »
Chief Poetic Officer, Vincent Avanzi (2004), se propose de réenchanter le monde le monde
par le biais de la poésie. Une mission dont l'écrivain et musicien Gaël Faye, s'est lui aussi saisi
avec un grand talent. Notamment avec son dernier album, l'excellent « Lundi Méchant ». Il fallait
donc que les deux hommes se rencontrent pour une conversation empreinte de poésie.

Vincent AVANZI (2004)
Chief Poetic Officer

Vincent : Peu de gens le savent,
mais tu as débuté ta carrière
dans la finance, avant de changer
totalement de cap. Comment t'es-tu
engagé dans cette reconversion,
aurais-tu un conseil à donner à
celles et ceux qui souhaiteraient
déployer leur potentiel ou leur
passion dans d'autres voies ?
Gaël : Ce n'est jamais évident d'oser, surtout
quand on est appelé ailleurs, qu'on a passé
son temps dans les bancs d'une école, avec
les sacrifices que cela a demandé et qu'on a
un boulot confortable. La seule chose que
je dirai est de « réussir à oser ». J'avais peu
d'excuses moi car j'avais une passion pour
l'écriture. Je savais ce que je voulais. Nous
sommes nombreux à chercher du sens dans
notre vie : pour quoi je me lève le matin, à
quoi je me dédie, où est-ce que je mets cette

énergie et ce temps de vie ? Quand on se
pose ces questions, on se rend compte qu'on
se lève pour des chimères. Au boulot, c'est
parfois difficile de trouver des réponses, si ce
n'est le salaire. La vie se vit ailleurs. Tu parles
de poésie depuis tout à l'heure. Je trouve
que la poésie est cette dimension de la vie
qui crée de la cohérence chez l'être humain,
cette dimension poétique, qui nous sort de
cette binarité consommateur - producteur.
Et puis moi j'avais la chance aussi à l'époque
de ne pas avoir d'enfants ou la responsabilité
d'autres êtres humains. Il faut oser tant
qu'on peut oser et savoir s'affronter dans
le miroir. On peut facilement mentir à son
image. Acceptons de faire silence en soi pour
savoir qui l'on est.

regarder le monde différemment. Les enfants
eux habitent le monde poétiquement et on
perd cette faculté en grandissant. Un enfant
regarde toujours le monde avec des yeux
poétiques. Je me souviens que les gouttes
de pluie qui tombaient sur les carreaux des
fenêtres de la voiture quand je partais avec
mon père étaient pour moi des courses de
planètes... et j'y croyais vraiment ! Je ne
voyais pas des gouttes d'eau. Il n'y avait
que des adultes pour dire « ce ne sont que
des gouttes d'eau ». Mon maitre à penser,
René Depestre, dans l'un de ses recueils
« Non-assistance à poètes en danger » écrit
« la tendresse des poètes voyage en baleine
bleue autour du monde, aidez-nous à sauver
cette espèce en voie de disparition ».

V i n c e n t : J 'a i m e b e a u c o u p
l'expression « habiter poétiquement
le monde ». Comment vois-tu la
poésie s'intégrer dans la vie, même
en entreprise et quel rôle elle peut
jouer dans la co-écriture du monde
de demain ?

Vincent : Et Francine Beca de
lui souffler « il n'y a pas de plus
belle œuvre d'art que le cœur
d'un enfant ». Dans ton parcours
personnel, ta souffrance est quelque
part viscérale, ton lien avec la poésie
inévitable, tu as écrit ton premier
poème en plein génocide quand tu
étais au Burundi, en guise de refuge.
Dans « Petit pays », tu dis « l'écriture
m'a soigné ». Quel est ton lien vital
avec l'écriture poétique ?

Gaël : La poésie permet de se décoller de
tout ce qui nous rend mortel, c'est-à-dire
nos besoins primaires (manger, loger, se
nourrir...) assez terre à terre. Se décoller
pour rêver et s'imaginer autre que des
êtres mortels. Un poète écrit pour l'univers,
pour l'éternité, pour parler avec ce qui le
dépasse. Nous sommes souvent guidés par
la peur, par des pulsions viscérales. La poésie
peut intervenir dans tous les pans de la vie
quotidienne, dans les relations à l'autre, pour

ESCP Alumni Magazine numéro 193 ❙ 1er TRIMESTRE 2021

Gaël : C'est un lien de sens. A chaque fois
que j'écris, j'ai l'impression de donner du
sens à des chaos qui m'habitent. Il y a un lien
de possible silence. Je suis très sensible aux
bruits du monde. Ils m'empêchent de penser.
Il y a trop de sons, d'images, d'interactions

❙ 101

ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021