ESCP ALUMNI MAGAZINE - #192 - NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2020 - 22

DOSSIER  ❙  Décider, c'est gagné ?

« Dans toute décision
co-existe une visée
stratégique et
une visée éthique »
Ghislain Deslandes (94), Professeur au département LEH (Law, Economics and Humanities)
et directeur du MS Medias a une conviction. Il faut réconcilier la philosophie
et le management. Il nous explique pourquoi.
En somme c'est le mot
« bonne » qui pose problème ?

Ghislain DESLANDES (94)
Professeur au département LEH
(Law, Economics and Humanities) et
directeur scientifique du MS Médias

Une bonne décision
qu'est-ce que c'est ?
Votre question est très bonne, car nous
croyons tous savoir ce qu'est une bonne
décision, alors que rien n'est aussi difficile
à définir. Une décision c'est ce qui met
fin à une délibération, à une réflexion
stratégique. C'est ce qui interrompt le
moment de l'indétermination ou de
l'hésitation. Mais en quoi peut-on dire
que telle décision est « bonne » ? Est-ce
celle qui contribue au bien du plus grand
nombre ? Serait-ce plutôt la décision
qui emporte l'adhésion des personnes
« habilitées » à décider justement ? Estelle seulement bonne la décision qui
produit des satisfactions diverses, du
plaisir ou du profit ?

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Cela  même, depuis toujours.
La  question du bien est discutée
dans la  tradition philosophique
depuis ses débuts. Les utilitaristes, les
darwiniens ou les hédonistes, parmi
nous, n'y répondent pas de la même
manière, car les valeurs et les principes
auxquels ils tiennent ne sont pas du
tout les mêmes. Dans toute décision
co-existe donc une vidée stratégique et
une visée éthique. J'ajouterai que c'est
ce qui rend notre discipline -et notre
école qui en a inventé le principe, au
mois sous la forme d'un programme
d'enseignement- si passionnante.

Vous pensez qu'il est
nécessaire de réconcilier le
management et la réflexion
philosophique ?
Je répondrais volontiers de façon
positive à cette question. Toute
décision n'est pas qu'affaire de calcul.
D'ailleurs si c'était le cas il n'y aurait
pas de décision à prendre, il suffirait de
se conformer aux résultats quantitatifs
que l'opération mathématique permet
d'obtenir. Hélas les choses ne sont pas
aussi simples dans une organisation :
ce qui est demandé à un  manager
c'est de faire preuve de jugement,
de modération, de prudence
aussi. Ce  jugement proportionné

en management s'acquiert par
l'expérience, par la  connaissance
du contexte notamment sectoriel,
par le souci de soi et d'autrui. Mais
aussi par l'éducation où alors
la philosophie, autant que l'économie
ou la technologie, a un rôle important
à jouer.

Parfois, ne vaut-il pas
mieux ne rien décider ?
La non décision peut-elle,
elle-même être un mode
de management ?
Je distinguerai deux manières de
considérer le principe de « nondécision » en management. Dans le
premier, c'est l'idée qu'il faut « laisserfaire » les équipes, intervenir le
moins possible, se comporter comme
un administrateur. Dans le second,
plus séduisant, il s'agit de s'abstenir
encore de prendre une décision mais
pour des raisons bien précises, qui
corresponde à une certaine idée du
management. Décider vraiment c'est
en effet avoir le pouvoir de prendre
une  décision, mais aussi de ne pas
la  prendre. Savoir décider consiste
finalement, comme disait Montaigne,
à se montrer capable de « maintenir
en soi une  dispute ». Sans quoi
une décision revient alors toujours à
entériner ce que personne au fond n'a
vraiment voulu.

ESCP Alumni Magazine numéro 192  ❙  NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2020
25/11/2020 09:23
ESCP ALUMNI MAGAZINE - #192 - NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2020

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