ESCP ALUMNI MAGAZINE - #189 - MARS/AVRIL 2020 - 21

DOSSIER ❙ Une affaire de familles

« l'attachement à l'entreprise et à son modèle initial,
conjugué aux enjeux affectifs entre les personnes,
peut constituer un frein». »
Christine MOREL-MAROGER (82),
fondatrice du Groupe Gouvernance
et Administrateurs. «À la deuxième ou
troisième génération, ce qui est considéré par certains comme la manière la
plus pertinente d'être fidèle à la volonté
des fondateurs et à la culture de l'entreprise peut au contraire être vécu par
d'autres comme des changements qui en
dénaturent les fondations et principes de
fonctionnement.»
Une bonne gouvernance, qui, au-delà
des administrateurs familiaux, s'ouvre
à des administrateurs indépendants,
est alors déterminante. «En introduisant un regard extérieur, on évite les
débats stériles, ou parfois marqués par
des relations de famille un peu figées.
On peut aussi bénéficier d'expertises
qui aident à débattre de la stratégie et
du modèle de création de valeur de façon
professionnelle et distanciée», note
Christine MOREL-MAROGER. Face
aux défis du digital et aux risques
d'«ubérisation», cet apport est en effet
essentiel.Autre ingrédient indispensable d'une gouvernance efficace de
l'entreprise familiale : la dissociation
entre la gouvernance de l'entreprise,
d'une part, et la gouvernance de la
famille et des intérêts patrimoniaux,
d'autre part. «Cela permet de clarifier les
enjeux. D'un côté, il y a l'entreprise et son
intérêt social. De l'autre, la famille, avec
ses différentes composantes, les objectifs
individuels et les objectifs collectifs. On
trouve mieux à articuler l'ensemble de
façon harmonieuse lorsque les termes
de l'équation sont bien posés», souligne Christine MOREL-MAROGER.

Christine MOREL-MAROGER,
fondatrice du Groupe Gouvernance
et Administrateurs

Quant au processus de nomination
et aux relations avec le dirigeant, issu
de la famille ou non, il est souhaitable
qu'ils soient gérés de façon aussi professionnelle que dans n'importe quelle
autre entreprise. «À partir d'une certaine taille, cela implique d'objectiver les
choix. On n'est plus dans l'attribution un
peu arbitraire des postes de direction à
des candidats de la famille. Le dirigeant
choisi se doit d'avoir le profil requis au
regard de la stratégie à mettre en œuvre.
Il convient d'établir une lettre de mission et des critères de réussite permettant
d'évaluer ses performances. Enfin, il est
souhaitable que le Conseil se réunisse en
son absence de façon régulière. Ainsi, le
jour où il y a un problème, quel qu'il soit,
cela permet d'en discuter entre administrateurs sans inquiéter personne ni dramatiser la situation», précise Christine
MOREL-MAROGER.

L'esprit de ces pratiques de bonne
gouvernance, qui apportent indéniablement un « plus » à l'entreprise
familiale, peut nourrir les pratiques
managériales. Des règles peuvent par
exemple être élaborées concernant le
traitement des candidatures familiales
aux postes de direction. «Si les entreprises familiales souhaitent attirer des
managers ou dirigeants de haut niveau,
elles ont tout intérêt à se montrer rigoureuses quant à leurs procédures de recrutement et à répondre à leurs aspirations
au travers d'une gestion adaptée des parcours professionnels», indique Christine
MOREL-MAROGER.
On le voit, la mise en place d'une
bonne gouvernance est un enjeu
stratégique pour les entreprises familiales. In fine, elle doit être le reflet des
valeurs et des ambitions portées par
la famille, elle doit aussi garantir la
cohésion familiale ainsi que l'ouverture sur l'extérieur pour que l'entreprise poursuive son développement
et son projet en restant ancrée dans
la durée. Un équilibre pas toujours
simple à trouver, mais qui est pourtant
la clé du succès.
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