Ocean Racing - Issue #20 - November 2006 - (Page 10)
POUR UN HOMME QUI AVOUAIT "N’Y RIEN COMPRENDRE EN BATEAU", Michel Etevenon aura marqué comme personne d’autre l’histoire de la voile sportive moderne. Mais que l’on ne s’y trompe pas, si son regard était bien celui du néophyte vis-à-vis de la chose purement technique, sa vision de l’événementiel et son talent pour faire se rencontrer le monde de l’aventure et le grand public n’avaient pas leur pareil à une époque où marins et terriens se tournaient le dos. L’histoire de la Route du Rhum, c’est celle d’une réaction. Réaction contre "l’establishment" du yachting, ses restrictions, ses "œillères". Les relations franco-britanniques, qui n’ont jamais été des plus simples, se gâtent franchement du côté des pontons lorsque les organisateurs de l’Ostar, unique transatlantique en solitaire, décident suite à l’édition 1976 de limiter les excès de certains concurrents et d’imposer une taille maximum (qui sera finalement de 56 pieds) pour les navires admis. Dans le collimateur, Jean-Yves Terlain et son Vendredi 13 (40 mètres), mais surtout Alain Colas et les 72 mètres de son Club Méditerranée, à qui l’on a imposé un parcours de qualification trois fois plus long que celui habituellement requis… Côté tricolore, on grince des dents, l’horizon doit s’élargir : pourquoi ne pas, lance alors Michel Etevenon, publicitaire de son état et armateur des Kriter, organiser une épreuve ouverte à tous types d’engins, sans limitation, une course en solo permettant de mêler amateurs et professionnels ? L’idée séduit immédiatement, la voile Open est née… et ils sont 38 à investir le bassin Vauban à Saint-Malo, début novembre 1978. L’arrivée de l’épreuve sera jugée à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, loin de la grisaille de l’hiver métropolitain, et l’on a décidé que l’assis- tance extérieure à la navigation était autorisée. Un point qui ne fait pas l’unanimité, et dont on débattra d’ailleurs régulièrement à l’avenir… Mais pour l’heure, au sein de la flotte hétéroclite qui a élu domicile au pied des remparts de la cité corsaire, sont présents les grands noms de la course hauturière. Pajot, Kersauson, Colas, Peyron, Riguidel, Fauconnier, Malinovsky, Gliksmann… Sans oublier la jeune Florence Arthaud, le cow-boy canadien Mike Birch, ou l’Américain Phil Weld. Les trimarans de ces deux derniers concurrents (11,5 mètres et 18 mètres respectivement) n’inspirent a priori pas trop de craintes, les paris se porteraient plus naturellement sur les araignées métalliques de Colas (Manureva, vainqueur de l’Ostar 1972) ou de Kersauson (Kriter IV, 23 mètres de long). Et bien sûr, les grands monocoques focalisent eux aussi l’attention, à l’image du géant Vendredi 13 rebaptisé Lili Aggie, et de la longue fusée Kriter V. ©J.J. Bernard/DPPI Mike Birch En l’absence de positionnement Argos, le recours à l’imaginaire est naturellement de mise pour le public, qui pourtant est au rendez-vous, confirmant le bien fondé de l’idée de Michel Etevenon : l’aventure du Rhum passionne, et si peu de concurrents communiquent régulièrement – c’est le cas de Colas et de Malinovsky – on sait que la flotte se scinde en tenants de l’option nord et partisans de la route sud. Celle-ci semble L’acte fondateur avoir acquis les faveurs de Weld, Kersauson et Birch, qui chassent l’alizé et comptent probablement sur les performances qu’offrent leurs multicoques au débridé. La régate Atlantique passe néanmoins au second plan lorsque survient le drame, le 17 novembre, sous forme d’un ultime message adressé par Colas à sa femme. "Je suis au centre du cyclone. Il n’y a plus de terre, il n’y a plus de ciel. Teura mon amour, est-ce que tu m’entends ?" Elle l’entend en effet, mais ce sera bien la dernière fois, et jamais l’aventurier ne sera retrouvé. Ce rappel à l’ordre brutal et cruel, lourd tribut parfois imposé par ce sport extrême, jouera naturellement un rôle important dans l’ac- cession de la Route du Rhum au rang d’épreuve légendaire dès sa première édition. Sur le plan sportif, le scénario de l’arrivée est proprement rêvé, puisqu’au terme de 7 heures de duel, et après 23 jours de mer, le petit trimaran de Mike Birch et ses 11,50 mètres s’imposent pour 98 malheureuses secondes sur le grand monocoque de Michel Malinovsky ! Incroyable conclusion d’une épopée qui acquiert immédiatement ses lettres de noblesse – l’épisode valide de facto le concept de course Open, le suspense est au rendez-vous jusqu’à la ligne d’arrivée Le Rhum est un indéniable succès sur tous les fronts. Ocean Racing - december 2006
Table des matières de la publication Ocean Racing - Issue #20 - November 2006
Sommaire
Ils ont dit
Route du Rhum
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