Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Septembre 2016 - n°416 - 289

Mais les conséquences peuvent être dramatiques
qui serait quasi indolore, piste que je défends.
pour celles qui ont beaucoup investi en
Prenons l'exemple de la presse. Actuellement,
référencement qui se trouvent du jour au
soit vous payez un abonnement, soit c'est gratuit
lendemain déclassées en page 5, perdant ainsi
en échange de quoi on collecte vos données et
leurs marchés. Je pense aussi à la déstabilisation
vous devez subir de la publicité. On ne peut pas
des acteurs historiques par certains acteurs
s'abonner à toutes les publications.
disruptifs du numérique qui
utilisent des armes jugées
On pourrait en revanche,
déloyales. L'exemple d'Uber
via
un
porte-monnaie
« L'objectif de la portabilité des
est un peu caricatural car
acheter
données est d'éviter l'enfermement et électronique,
le marché des taxis est
un article à l'unité pour
c'est aussi un petit pas qui contribue
régulé et monopolistique,
une
somme
minime
au
passage d'une logique défensive à
mais d'autres secteurs sont
et en échange on ne
une logique de maîtrise.. »
aussi déstabilisés de façon
recevrait pas de publicité.
parfois violente.
Aujourd'hui, ce n'est pas
possible. Une partie du
Il y a aussi la question du partage de la valeur
numérique pourrait re-migrer vers des microDans l'économie numérique, très souvent la
paiements, car le public n'acceptera pas de
création de valeur s'effectue sur des marchés dits
rebasculer massivement vers une économie de
bifaces ou multifaces. Sur l'une des faces, celle du
l'accès, qui correspond au modèle antérieur.
BtoC, la transaction a l'apparence de la gratuité,
Encore une autre piste consiste à redistribuer la
mais l'utilisateur au lieu de payer sonnant et
valeur, via un revenu de base, une proposition
trébuchant, paye indirectement en acceptant que
qui a le vent en poupe, qui est promue à gauche
ses traces soient collectées, puis monétisées sur
et à droite avec des approches radicalement
la face B2B.
différentes.
N'est-ce pas déloyal, dans la mesure où
les données personnelles représentent une
monnaie qui n'est pas déclarée comme telle ?
Le deal officieux consiste à procurer un service
génial gratuit en échange des données. C'est
un deal implicite dont tout le monde n'a pas
conscience mais surtout c'est un deal dont on
peut questionner l'équilibre.
Est-ce que la communication des données
personnelles vaut le service rendu ? Personne
ne l'évalue, ne le questionne. Finalement, les
utilisateurs acceptent par non-choix. Ils sont
attirés par un super service et ensuite ils en
deviennent captifs. Du coup, se pose la question
de la répartition de la valeur créée qui est en fait
coproduite à partir des données des utilisateurs
mais aussi par le service. Dans le système actuel,
si les données n'étaient pas transmises, il n'y
aurait pas de marché publicitaire et l'entreprise
ne pourrait pas créer de la richesse, au sens
monétaire du terme.
Est-ce que la richesse est répartie via le service ?
C'est que prétendent les acteurs du numérique
mais d'aucuns doutent de l'équilibre du deal.
Est-ce qu'elle est répartie via l'impôt ? Très mal
comme je l'ai expliqué précédemment. Peut-on
penser à d'autres méthodes de répartition de la
valeur ? Certains imaginent de rémunérer les
utilisateurs en échange de leurs données. Ceux
qui ont essayé de le faire ont montré que cela ne
fonctionne pas. D'autres pensent qu'il faudrait
mettre en place un système de micro paiement

Pour terminer cette interview, je voudrais vous
demander comment on devient membre de la
Cnil ?
La Cnil a été renouvelée il y a deux ans. Un des
membres de la Cnil, Nicolas Colin, qui avait été
nommé par le président de l'Assemblée nationale,
a démissionné car il partait travailler à Londres.
Mon nom a été proposé pour le remplacer. J'avais
été auditionnée par les députés, dans le cadre
du projet de loi pour une République numérique,
mais ils me connaissaient déjà dans le cadre
des travaux du précédent Conseil national du
numérique dont j'ai été la vice-présidente.
Un jour j'ai reçu un appel auquel je ne m'attendais
pas pour me proposer de contribuer aux travaux
de la Cnil. Je n'ai pas réfléchi longtemps pour
accepter. C'est une fonction passionnante, surtout
dans la période actuelle.

Propos recueillis par Sylvie ROZENFELD

EXPERTISES SEPTEMBRE 2016

289
Table des matières de la publication Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Septembre 2016 - n°416
