Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Novembre 2015 - n°407 - 378

interview
Sylvie Rozenfeld : Vous êtes courtier en assurance,
spécialisé dans les technologies de l'information. Neotech
Assurances, la société en courtage que vous avez fondée
avec votre associé Benoît Lemaire s'adresse d'ailleurs aux
sociétés innovantes. Vous êtes aussi le courtier conseil
du Syntec numérique. En dehors des grandes mutations
technologiques et sociétales que nous sommes en train
de vivre, le risque informatique voire informationnel a
beaucoup évolué et se complexifie. Comment le ressentezvous dans votre pratique de courtier ?

Vous dites que les causes d'échec sont toujours les
mêmes, mais les projets n'ont-ils pas évolué ?
Oui. D'ailleurs, on voit apparaître de nouveaux types de sinistres
que l'on va davantage traiter en gestion de crise. Avec le cloud,
les projets classiques d'intégration vont être moins fréquents car
la part d'intégration avec des développements spécifiques va
se réduire. On ne va plus être confronté à des échecs de grands
projets, mais à des ruptures d'accès aux données qui vont générer
des tensions entre les parties ou des sinistres sériels car les bugs
impacteront plusieurs clients à la fois. Dans ce cas, on va mettre en
place une gestion de crise consistant, pour nous, à assister notre
prestataire afin de l'aider à résoudre le problème, communiquer
auprès de ses clients impactés pour les rassurer et indemniser
leurs préjudices s'ils en ont.

Nicolas Hélènon : Nous assurons les prestataires informatiques.
Et nous ne voyons que les projets qui ont échoué, et non ceux qui
marchent, ce qui représentent 98% des cas. Les causes d'un échec
sont toujours les mêmes : l'évolution du périmètre mal cadré, une
mauvaise gestion du projet sur le plan humain en particulier, le
Les systèmes d'information ont évolué, quelles en sont les
refus du changement. Quand on intègre un ERP, cela a forcément
conséquences en matière d'assurance ?
un impact dans l'organisation du travail de l'entreprise. On
Les contentieux coûteront sans doute moins cher car ils seront
rencontre un refus de changement des utilisateurs qui va ralentir
gérés différemment. Avant, un échec de projet générait une
ou complexifier le projet. Ils ont tendance à rajouter des nouvelles
expertise judiciaire, et le recours à un expert technique par
demandes, de nouvelles fonctionnalités, ce qui fait que les projets
chacune des parties ainsi qu'à un avocat. Nous avons toujours fait
n'aboutissent pas. Les utilisateurs ne voient pas le gain qu'ils
appel aux meilleurs d'entre eux, et ça implique un certain coût.
peuvent en retirer. Il n'y a peut-être pas eu de dialogue en interne
Les expertises étaient longues. On avait affaire à des dossiers
entre la direction financière, la direction générale, la direction des
de frais puisqu'on mettait les moyens qu'il fallait pour gagner les
achats, la direction informatique et les utilisateurs de l'entreprise
procès de nos assurés. Aujourd'hui la façon d'intégrer les logiciels
concernée. Une autre cause peut résider dans l'immaturité des
a changé. Une entreprise se connecte à distance sur les serveurs
clients, donc de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre
de son éditeur. Ou alors elles ont recourt aux méthodes Agile.
dans la gestion du projet, par rapport au périmètre contractuel,
si on ne sait pas le faire évoluer en cours de projet. Par ailleurs
Nous sommes donc dans une période de mutation.
quand on est au forfait sur un projet qui n'est pas cadré, chaque
La situation est en train de changer, en effet. En ce moment, nous
nouvelle demande va augmenter la charge et rallonger les délais.
avons les deux systèmes en parallèle. Nous avons deux tiers des
Le prestataire va être déficitaire et ça va coincer. La faute en revient
sinistres qui proviennent d'échec de projets d'intégration mais un
à une mauvaise communication entre les parties, qui ont chacune
tiers des dossiers est traité en mode de gestion de crise. A l'avenir,
leur propre point de vue. On est face à deux vérités, voire trois ou
est-ce que les dossiers de gestion de crise seront dominants ? Je ne
quatre, en cas d'échec de projet, et
peux pas encore le dire aujourd'hui.
tout le monde a un peu raison. S'ils
En tout cas, une nette tendance se
« On ne va plus être confronté à des dessine.
ne se parlent pas, ils s'enferment
dans leur vérité. Une autre cause
échecs de grands projets, mais à
d'échec provient également des
Le développement d'un logiciel
des ruptures d'accès aux données
achateurs qui négocient à la baisse
qui vont générer des tensions entre en utilisant les méthodes Agile
le coût des projets. Cela va forcément
a-t-il une incidence en termes
les parties ou des sinistres sériels
se ressentir dans la gestion du projet
d'assurance ?
car les bugs impacteront plusieurs
du prestataire. Il ne mettra pas ses
Non. Nous avons peu de dossiers
clients à la fois. »
meilleures ressources dans un projet
en contentieux de projets de
déficitaire.
développement en méthode Agile.
Ce n'est pas parce qu'on choisit cette
méthode
qu'il
n'y
a
pas
de
risques.
En revanche, cette méthode a
Comment intervenez-vous ?
vraiment
des
vertus.
Elle
permet
de
sauver
les projets, c'est la raison
Pour les projets qu'on peut sauver, nous aidons les prestataires ou
pour laquelle nous avons moins de contentieux. En revanche, les
l'éditeur en faisant prendre en charge par l'assureur leurs propres
assurés prestataires informatiques doivent faire attention car de
surcoûts ou ceux des experts techniques et des avocats. Quand
nombreuses polices d'assurance ont des exclusions de garantie qui
on ne peut pas sortir les projets par le haut, on les aide, grâce
ne sont pas adaptées aux méthodes Agile. Par exemple, certains
au recours à d'excellents avocats et à des experts, à négocier la
contrats excluent le fait de ne pas formaliser toutes modifications
résiliation des contrats ou à gagner les contentieux lorsque ces
contractuelles par écrit. Le programme du Syntec ne contient pas
derniers sont inévitables.
d'exclusion de ce type. A mon sens, la méthode Agile réduit les
risques, mais les prestataires informatiques ou les éditeurs doivent
Vous allez d'abord tenter la voie amiable.
être très vigilants concernant leur police d'assurance. Si un projet
Quand c'est possible toujours ! Mais malheureusement, ça reste
en méthode Agile échoue, ils pourraient ne pas être assurés si la
rare car lorsque mes clients me déclarent le sinistre, les parties
police comporte des exclusions pas adaptées à la méthode Agile.
sont déjà dans la phase contentieuse et c'est trop tard.

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EXPERTISES NOVEMBRE 2015

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