La revue RH&M - N°68 - Janvier 2018 - 28

Tendance RH / Décryptage

Métamorphose 1 : le travail
Le récit qui suit est l'illustration
d'un des multiples scénarios
possibles d'ici 2050. Exploitant
les connaissances actuelles pour
en explorer les conséquences, il
n'appartient pas au registre de
la science-fiction mais bien de
l'anticipation.
Aujourd'hui Kyra, ma petite-fille,
vient me voir "pour une séance de travail" m'a-t-elle dit, je crains le pire !
La voici qui entre, toute frémissante
du haut de ses 20 ans :
- GranMa ! C'est le grand jour ! Je
veux décider maintenant de mon
avenir !
- Bien, ma chérie, et en quoi puis-je
t'aider ?
- Je dois comprendre comment tout
cela fonctionne. Mes parents sont
des non-T mais toi tu es une NL. Je

Fabienne GOUX
BAUDIMENT
Directeur de proGective, professeur
associé à l'université d'Angers (ISTIA)

P.28 | JANVIER 2018 | N°68 LA REVUE RH&M

dois comprendre ! Raconte-moi !
- Oui, bien sûr... Le passé me rattrape
soudain à la vitesse de son débit de
paroles et de ses sigles. Comment lui
expliquer les profonds changements
de ces 30 dernières années ? Par où
commencer ? Comme toujours, il
faut revenir au commencement.
- Tu vois, Kyra, comme tous les animaux, au début, l'être humain a dû
subvenir à ses besoins par lui-même,
chassant, cueillant. Puis il a réussi
à accumuler plus qu'il ne pouvait
consommer instantanément : c'est
alors qu'il a inventé le travail, avec
les métiers de boucher, peaussier,
cuisinier, potier, fabricant d'arme,
etc. pour pouvoir gérer cette accumulation de vivres, puis de biens,
mais aussi d'individus. Car la croissance démographique allait de pair
alors avec la capacité à nourrir plus
de bouches. Pendant des millénaires, nous nous sommes formés
aux métiers que nous devions exercer pour vivre, transmettant l'expérience et les connaissances acquises,
améliorant les procédés. Et, parce
que nous n'aimons pas faire ce qui
nous est pénible, nous avons développé des systèmes techniques et
des machines capables de faire de
plus en plus de choses à notre place.
Ainsi, le travail, l'automatisation, la
croissance démographique et l'éducation ont toujours été intrinsèquement liés.
- Ça j'ai bien compris. Mais pourquoi
le système s'est emballé puis arrêté ?
Il me faut rassembler mes idées, mes
90 ans pèsent sur ma mémoire.
- En fait les choses ont dérapé avec le
début de l'accélération, lors de la 1ère
Révolution Industrielle. Peut-être,
qu'en anticipant, préparant, organisant, nous aurions pu alors forger
un autre chemin pour l'humanité
mais...
Kyra interrompt rapidement ma nos-

talgie : Mais, en vrai, qu'est-ce qui
s'est passé ?
- Grâce aux machines qui ont permis
d'automatiser des tâches, rationaliser des processus et produire à plus
grande échelle, nous avons créé une
société urbaine fortement consommatrice, dans laquelle tout le monde
travaille pour vivre et acheter...
Kyra m'interrompe encore : Mais
"travailler" cela veut dire quoi en
fait ? Quand je fais du synthé, je travaille ; quand Maman s'occupait de
moi, elle travaillait aussi.
Elle a raison. Bien qu'elle se comporte
comme une enfant, Kyra est dotée
d'une intelligence vive, comme celle
de tous les Alien Gen1. Je reprends
donc :
- En fait, le mot-clé c'est "avoir" du
travail : cela veut dire que quelqu'un
est prêt à te faire confiance et à te
payer l'activité que tu fais, donc que
ce travail a de la valeur.
Je vois ses sourcils se froncer et la
devance :
- Là n'est pas la question, l'important est de comprendre que nous
avons fini par créer un système de
plus en plus déconnecté du monde
réel. Pour que tout le monde ait sa
part de richesse, avec de plus en
plus d'humains sur Terre, il fallait
créer de la richesse au moins aussi
vite que l'on enfantait, sans se préoccuper des ressources. Mais plus
d'humains, ce n'est pas seulement
plus de main-d'œuvre, c'est aussi
plus de coûts de maintien de tout le
système : infrastructures, équipements, etc. Il fallait donc travailler
non seulement pour gagner de quoi
vivre mais pour financer l'ensemble
des moyens que ce niveau de civilisation requerrait, d'où les " impôts".
Croissance, rendement, productivité, rentabilité, compétitivité... la
planète était alors une gigantesque
fourmilière travailleuse... mais les

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