La revue RH&M - N°67 - Octobre 2017 - 21

fonctionner sont différentes des
siennes. Une telle démarche permet de tenir compte des différences
culturelles avec les impératifs stratégiques de l'entreprise.
Selon Maurice THEVENET, l'entreprise, comme toute collectivité humaine, sécrète une culture
au sens ethnologique du terme, à
savoir un ensemble de valeurs, de
normes, d'habitudes, de comportements intériorisés. Cette dimension
culturelle collective est indissociable de l'histoire de l'entreprise,
de son mode spécifique de gérer et
de travailler ensemble qui, au fil du
temps, s'est développée et installée
pour constituer une identité propre
à l'entreprise.
Aujourd'hui ce rôle de socialisation
de la culture d'entreprise est remis
en cause par une idéologie de gestion, d'organisation (externalisation,
CDD, intérim etc.) et une certaine
vision du management se réduisant
à ordonner, contrôler et sanctionner.
La culture d'entreprise ne doit plus
être considérée comme une matière
flasque et malléable que l'on pourrait manipuler à volonté, le plus
souvent à des fins de performance
économique et financière. La culture
d'entreprise doit être une sorte de
racine prenant encrage dans la stratégie même de l'entreprise et se propageant à l'ensemble des différentes
identités culturelles coexistant au
sein de l'entreprise.
L'entreprise devient ainsi un espace
complexe, composé de plusieurs
strates de culture : d'un côté une
« culture globale » qui couvre l'ensemble des collaborateurs ; de l'autre
côté, de « micro-cultures » couvrant
un ou plusieurs collaborateurs dont
le marqueur identitaire repose
sur des éléments intrinsèques à ce
« sous-groupe » ou du moins sur
le sentiment de partager un certain nombre de valeurs, croyances
ou pratiques (exemple : sentiment

" La culture d'entreprise doit être une
sorte de racine prenant encrage dans la
stratégie même de l'entreprise."

d'appartenance à un « corps de
métier » ; sentiment d'appartenance
à un groupe ethnique...).

« culture globale », les rassemblant
autour d'un socle de valeurs communes.

Dès lors, l'entreprise doit avoir
pour objet prioritaire de développer le sentiment d'appartenance du
salarié à cette « culture globale » et
participer à un projet non plus seulement économique, mais à un projet social : celui du vivre ensemble.
Ce sentiment d'appartenance à un
ensemble plus grand ne se décrète
pas, surtout à une époque marquée
par le réveil des différences culturelles.

Cet objectif d'une culture d'entreprise couvrant l'ensemble des salariés suppose un travail de recherche
sur les similitudes, plutôt que les
différences, les références communes plutôt que les stratégies
individuelles et les identités distinctives, tout en les reconnaissant et les
acceptant. Cette démarche permet
de faire coexister des cultures différentes sans les nier ni les surexposer.
Ce travail sur la culture d'entreprise
parie sur le fait que l'on construit sur
ce qui est commun et non sur ce qui
est différent.

L'entreprise ne peut plus être simplement vue « comme une organisation dont la fonction principale
est de produire des biens et des services (...) destinés à la vente, pour
satisfaire un besoin et en tirer des
bénéfices ou du profit. "(Définition
INSEE). L'entreprise doit demeurer
un lieu libre de sociabilité échappant
à la seule logique productive, à ses
contraintes et aux normes édictées
par les directions.
Le travail en entreprise n'est pas
simplement un processus à rationaliser ou un instrument de rentabilité.
Il constitue un monde dans lequel
l'individu entre en coopération et
en conflit avec d'autres, acquièrent
des habitudes et des valeurs qui
sont constructives d'une identité
culturelle collective. Les managers
sont les bâtisseurs de cette identité culturelle collective. Ils en sont
même les garants. L'entreprise doit
susciter auprès des collaborateurs
ce sentiment d'appartenance à une

La « culture d'entreprise » se trouve
ainsi érigée en une sorte de niveau
supra-entreprise qui serait au-dessus des intérêts et convictions individuels, liant les salariés par leurs
ressemblances plutôt que par leurs
différences.
Les entreprises doivent replacer la
culture au centre de leur stratégie.
Faire de la stratégie un levier de
solidarité, un marqueur identitaire,
un trait d'union entre des individus
différents. Elle doit s'appuyer sur
sa culture pour renforcer le vivre
ensemble.
Dès lors, le véritable enjeu pour
l'entreprise n'est plus d'instrumentaliser la culture d'entreprise pour
en faire un simple outil de gestion
et de communication, mais d'en
faire le ciment de la stratégie d'entreprise.

LA REVUE RH&M N°67 | OCTOBRE 2017 | P.21

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