ParaMag - n°335 - Avril 2015 - 24

prehisto_335_Couv 30/03/2015 16:27 Page 5

Patte de bœuf fraîche, et les tendons principaux qu'on
en retire après le débitage à la lame de silex.
Photo Françoise Hurlin

"Patte" de libération en chevreuil,
destinée à la future intégration du parachute d'avion
Photo Françoise Hurlin

INSOLITE

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turbulences... J'ai établi toute une série
de tests de matériaux et de montages
avant d'engager la découpe des grandes
peaux avec des lames de silex, puis la
construction de ma première wingsuit
en peaux de bêtes.
Une vingtaine de vols de réglage et de
vieillissement ont suffi pour démontrer que
le projet était viable. J'ai juste rectifié de 2
cm la position des attaches de mains pour
supprimer un pli sur le bord d'attaque du
bras, sinon tout était parfait.
La phase expérimentale étant terminée,
l'élaboration de ma deuxième wingsuit
préhistorique est en cours.
Pour 2015, peu de modifications techniques sont prévues, juste un peu plus
d'envergure à l'aile de jambes pour obtenir
une meilleure poussée à basse vitesse.
Mais esthétiquement elle sera moins
consensuelle, moins symétrique,
beaucoup plus sauvage. Une wingsuit
à faire peur les nuits de pleine lune,
dans les rues sombres !
Comme pour la précédente wingsuit
préhistorique, il n'est pas question de tuer
des animaux sauvages protégés.
Il suffit de remplacer l'auroch et le cheval
de Przewalski par le bœuf, le bouquetin
par le chevreuil, le bison par le sanglier
ou le cerf. Et si j'utilise plus de peaux
sauvages, renne, marmotte, cerf, loutre,
hyène ou loup, les espèces protégées ne
sont présentes que par le recyclage
de peaux anciennes et de vieux vêtements
datant du début du siècle dernier,
bien avant les programmes de protection
de la faune sauvage.

Avril15:335
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Est-ce que ce premier proto résiste bien
aux efforts en chute libre ?
Oui, étonnamment bien. Après 20 vols,
je n'ai aucune rupture ou fatigue
inquiétante sur les matériaux, que ce soit
les peaux, les lanières, les tendons, les os,
ou les bois et dents divers.

Et pourtant j'ai envoyé fort, notamment sur
les ressources et les ouvertures.
Je m'étais bien préparé à des ruptures
totales d'ailes en vol, et rien ne s'est
produit. Ce que j'ai découvert,
c'est que les hommes de la préhistoire
disposaient de matériaux bien plus
performants, durables et efficaces que
nous le pensons naïvement.
Le point le plus sollicité, ce sont les ouïes
permettant l'insertion des sangles
du harnais parachute.
D'ailleurs, ce parachute à intégrer c'est
mon plus gros souci. C'est une hérésie
historique, technique et esthétique.
Mes wingsuits sont beaucoup plus belles
sans, et pour qu'il ne se voie pas,
ce n'est pas facile. Un sac de base-jump
sera plus facile à masquer.
D'ailleurs quand je parle de vol préhistorique, je pense plus à de l'envol captif tenu
au sol dans du vent fort, qu'à du saut de
falaise. Pour vérifier l'idée, j'aimerais
essayer des envols captifs derrière le
Caravan à Tallard, dans le souffle de
l'hélice de l'avion tous freins bloqués sur le
tarmac. Et voir à quelle vitesse de vent ma
wingsuit préhistorique me fait quitter le sol.
Sinon, qu'un homme de la préhistoire ait
tenté de voler d'une falaise, pourquoi pas ?
De tous temps, les hommes ont su nous
prouver qu'ils étaient capables de se jeter
dans le vide avec l'illusion d'y survivre plus
ou moins... et ça continue.
Combien pèse la première wingsuit
préhistorique ?
6 kg pour la wingsuit de peau, à peine trois
fois plus que ma Tony Suit X2.
Il faudra ajouter 1 kg pour le casque en
tête de sanglier, et les mocassins en peau
de cerf. Par contre à 35 °C en été, c'est un
vrai sauna, avec la transpiration elle sent
fort la bête sauvage. Dans l'avion, on se
croirait parfois au Zoo de Vincennes !
Pour respecter totalement les techniques
préhistoriques, je devrais tanner mes

peaux à l'urine, ou à la cervelle animale bien que la cervelle humaine, ça marche
aussi - et les fumer ensuite avec des
herbes mouillées... Mais au final l'odeur est
tellement insoutenable que tout le monde
sauterait de l'avion avant d'arriver
à 4 000 m ! Alors je tanne comme
les paysans, au gros sel et à l'alun.
En vol, si elle est physique, ce n'est pas à
cause de son "poids", mais à cause de
l'absence de profil. Les déformations de la
peau sous la pression de l'air génèrent
beaucoup de traînées parasites.
Enfin cela reste gérable, rien de surhumain, il suffit de bien respirer sur les vols
longs. Voire faire un point de repos de
quelques secondes avant de repartir,
comme en escalade.
Sur les sauts au FL 195 (5500 m)
qui durent longtemps, c'est obligatoire,
du moins pour moi.
Combien d'heures de travail as-tu
consacrées à ce projet ?
Vraiment beaucoup plus que ce je ne
l'imaginais au départ. D'autant que sans
aucun financement spécifique j'y consacre
l'énergie et le temps que je peux,
et que le parachutisme est déjà une
activité ruineuse. Contrairement à certains
champions ou parachutistes de l'extrême,
je ne suis ni militaire ou fonctionnaire
détaché, ni "fils-à-papa". Donc je suis
obligé d'avoir une vraie vie professionnelle
à côté, et ce n'est pas toujours facile.
Un exemple simple : un mètre de cordelette coûte un euro chez Décathlon.
Débiter une patte de bœuf à la lame de
silex, en extraire les tendons,
puis les écraser en fibres sèches et enfin
en faire une cordelette de tendon torsadée,
c'est dix heures de travail par mètre produit. Percer un trou dans une dent de cerf
ou un os avec une pointe de silex,
c'est une heure de travail.
Tout est à l'avenant, le tannage des peaux,
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