ESCP Europe Magazine - N°177 - Mars 2018 - Preview - 21

DOSSIER ❙ Le bonheur au travail

« La fabrication du bonheur
des salariés n'est pas
du ressort de l'entreprise »
Philippe Gabilliet, professeur associé en psychologie & leadership
à ESCP Europe, livre son éclairage sur la question du bonheur au travail
et déconstruit certaines idées reçues sur le sujet.

La notion de bonheur
au travail est de plus en plus
prégnante dans le monde
de l'entreprise. Pourquoi ?
Elle a commencé à se développer il y a une
quinzaine d'années. Le bien-être au travail est abordé en référence au désordre
créé par les nouvelles conditions de travail
aussi bien sur le plan relationnel qu'organisationnel. Si les conditions matérielles
se sont globalement améliorées, les conditions psychologiques se sont détériorées
sous l'effet d'une organisation moderne
plus rationnelle axée sur l'efficacité, la productivité et le contrôle. Les modèles positifs
visant à promouvoir le bonheur au travail
se sont développés en réaction à cet univers
de plus en plus contraint.

Doit-on parler de bien-être
ou de bonheur au travail ?
Il y a une grande confusion autour de ces
deux termes. Le bonheur est un concept
philosophique qui renvoie à une évaluation personnelle de sa qualité de vie selon
différents critères, dont le travail. La création du bonheur des individus n'est a priori
pas du ressort de l'entreprise, même s'il est
évident qu'elle n'a pas non plus vocation
à rendre les gens malheureux. D'ailleurs,
on ne parle pas de malheur au travail,
mais plutôt de souffrance, de stress, de
harcèlement, de burn-out... La notion du

bien-être au travail a, quant à elle, fait l'objet de plusieurs recherches. Elle est définie
par l'OMS et peut même mesurée par une
entreprise en fonction des critères qu'elle
s'est fixée.

la mission. L'essentiel est de se focaliser
sur cette tâche, le rapport au travail et les
relations en entreprise.

Nous entendons de plus
en plus que des collaborateurs
plus heureux seraient plus
performants. Qu'en pensez-vous ?

L'enjeu est de ne pas se tromper de combat en s'attaquant en priorité à l'environnement, au sens des conditions de travail.
Quand le temps de travail et l'aménagement de l'espace ont été bien gérés, en faire
plus relève de la communication interne.
Les entreprises doivent faire la distinction
entre le bien-être de la personne au travail,
c'est-à-dire les conditions autour de son
activité, et le bien-être du travailleur au travail, qui est tout ce qui renvoie à sa mission
en termes d'aspiration, d'autonomie, de
processus et de montée en compétences. Il
s'agit avant tout d'une intervention sur l'organisation, les processus et le management
pour permettre d'alléger la charge mentale,
sans nuire à l'efficacité ou la qualité de service au client.
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À travers cette idée, il y a une volonté de
créer un lien logique entre deux notions
qui se dérobent. La définition du bien-être
est différente d'une personne à une autre,
alors que la performance d'une entreprise
renvoie à des éléments tangibles : chiffre
d'affaires, taux de fidélisation ou d'absentéisme... Dans un contexte d'économie
libérale, la performance implique compétition, productivité, objectifs, optimisation des moyens ; autant de facteurs qui
peuvent générer de l'inconfort et de la
pression, mais aussi de l'engagement et
de l'envie. Un salarié compétent, disposant d'une certaine marge de manœuvre
et d'autonomie, qui travaille dans un cadre
propice à la collaboration, l'entre-aide -
avec un management dur mais néanmoins
respectueux - supportera plus facilement
la pression. Trop souvent, les entreprises
oublient que le niveau d'accroche doit clairement être le contenu de la tâche ainsi que
le cadre relationnel dans lequel s'insère

ESCP Europe Magazine numéro 177 ❙ MARS/AVRIL 2018

Quels sont peut-être
les pièges à éviter ?

Philippe Gabilliet est auteur de :
Éloge de l'optimisme.
Quand les enthousiastes font
bouger le monde, J'ai Lu, 2018.
(Retrouvez plus d'information dans
notre rubrique À lire page 32)

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