ESCP Europe Alumni Magazine - n°134 - Janvier 2011 - 69

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Crise, théories et flexibilité financière
Par Franck BANCEL, Professeur Finance ESCP Europe

D.R.

ne crise est un moment privilégié pour évaluer le pouvoir explicatif des théories. La finance n’a pas échappé à cette règle. Les théories financières dominantes proposent des approches différentes pour comprendre la façon dont les entreprises choisissent une structure financière. Par exemple, la théorie classique propose aux entreprises d’optimiser leur structure financière en prenant en compte les économies fiscales liées à la dette et à l’existence des coûts de faillite. La théorie de l’agence et la théorie du free cash flow préconisent d’extraire le cash de la firme pour inciter les managers à créer de la valeur actionnariale. La théorie du pecking order hiérarchise les financements et montre que le recours à l’autofinancement est préférable dans un contexte d’asymétrie d’information. Cependant, quelles que soient leurs différences, toutes ces théories considèrent que l’entreprise peut se financer si elle montre aux investisseurs qu’elle est en capacité d’initier des projets créateurs de valeur. Sur un plan théorique, un cash trop abondant (ou un levier trop faible) est au mieux perçu comme une source de sous optimisation fiscale, au pire comme un outil de spoliation des actionnaires. Or, la principale leçon de la crise a justement été de démontrer que l’accès au financement n’était pas acquis. Au plus fort de la crise, certains segments du marché financier n’ont plus « fonctionné » correctement. De manière générale, l’accès et le coût du financement, qu’il soit de marché ou bancaire est devenu plus difficile pour les entreprises du fait du niveau très élevé de l’aversion au risque. En conséquence, les entreprises qui disposaient d’une plus grande flexibilité financière ont pu traverser la crise dans de meilleures conditions. Sur un plan théorique, le concept de flexibilité financière qu’on peut définir

comme la capacité à se financer en toutes circonstances, quelles que soient les conditions économiques, sort renforcé de la crise. il est d’ailleurs intéressant de noter un regain d’intérêt des académiques pour la flexibilité financière si l’on en juge par le nombre élevé de working papers ou d’articles publiés sur ce thème depuis deux ans. « Théoriser » la flexibilité financière est cependant un exercice complexe. Comme on l’a dit, les théories financières dominantes sont structurellement inadaptées. La finance bancaire a développé des outils de gestion des risques fondés sur l’affectation de fonds propres et la limitation du risque de faillite mais les fondations théoriques de ces modèles sont limitées. La flexibilité financière ne repose pas non plus sur la seule gestion du pool de ressources financières. La présence d’actifs liquides et la mise en place d’une organisation plus agile sont également des sources majeures de flexibilité financière. Le paradoxe est que les entreprises pensent en termes de flexibilité financière comme le démontrent les enquêtes menées auprès de dirigeants (Graham et harvey (2001), Bancel et Mittoo (2004))*. Un des enjeux théoriques majeurs des prochaines années sera donc de mieux intégrer les pratiques des entreprises dans la construction d’un cadre théorique plus adapté. l

* Bancel, F. and Mittoo, U.R. (2004), “Crosscountry determinants of capital structure choice: a survey of European firms”, Financial Management, Vol. 33, pp. 103–132. Graham, J. and Harvey, C. (2001), “The theory and practice of corporate finance: evidence from the field”, Journal of Financial Economics, Vol. 60, pp.187-243. 69

ESCP Europe Magazine N° 134 - Janvier 2011

Table des matières de la publication ESCP Europe Alumni Magazine - n°134 - Janvier 2011

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