ESCP Europe Alumni Magazine - n°127 - Novembre 2009 - 51

News Douze heures plus tard, après une erreur d’orientation qui m’a coûté 3 kms supplémentaires, j’arrivais en claudiquant à notre lieu de rendez-vous. Très heureux et -sentiment inédit pour moi- si fier. Sur le chemin, pour me motiver, je m’étais parlé, j’avais chanté, prié, pleuré, conversé avec les vaches, embrassé les panneaux de chaque village… Depuis, nous essayons de nous retrouver 2 fois par an (en général, en novembre et en mai) pour marcher entre 3 et 5 jours. À chacun de nos retours, je n’ai qu’une envie : repartir. Nous totalisons 500 kms. La prochaine étape débutera à Saint-Jean d’Angély en direction de Bordeaux. Marcher sur le Camino a élargi mon horizon. Sur le plan amical tout d’abord. J’ai goûté ces moments de discussions profondes et intenses à l’ombre des sous-bois. J’ai savouré ces moments où nous marchions silencieusement côte à côte, chacun plongé dans ses pensées ou la contemplation des paysages. J’aime ce moment matinal où, après une bonne nuit et un bon petitdéjeuner, nous ajustons notre sac à dos, vérifions notre gourde avant de nous élancer sur la route. Il faut quelques kilomètres pour que les muscles endoloris retrouvent leur élasticité. J’aime aussi ces pauses repas, au bord d’un chemin, assis sur un muret ou un tronc d’arbre suivies d’une sieste dans les herbes hautes. Sur la route, nous sommes libres. Nous avons tout ce qu’il nous faut sur le dos (vêtements, nourriture, couchage) et pas d’autres soucis. Nous savons où nous conduit notre étape du jour, nous n’avons plus qu’à nous laisser entraîner par nos pas. Chaque soir, en arrivant à notre gîte, nous faisons tamponner notre credencial, un carnet de pèlerin qui permet d’être hébergé chez des hospitaliers, souvent anciens pèlerins. Lorsque nous arriverons à Compostelle, nous l’échangerons contre « la Compostella », l’attestation que nous avions bien parcouru le Camino. En attendant d’arriver (Dieu seul sait quand !), elle nous sert d’album souvenir : chaque tampon nous rappelle une soirée, une rencontre particulière. L’un des premiers tampons qui figure sur notre credencial, frappé d’une coquille et d’une croix D.R. D.R. de Saint-Jacques, est celui de « Titi », comme nous l’avions surnommé : Thierry, un agriculteur qui avait plaqué femme, champs et enfants pour partir sur le Camino. Il nous a prodigué ses conseils sur la façon de nouer les lacets au niveau du coup de pied, afin d’éviter les ampoules, la discrétion à avoir vis-à-vis des autres pèlerins (« on ne demande jamais à quelqu’un pourquoi il fait le chemin, sauf s’il en parle lui-même »…). Plus tard, nous en apprendrons davantage sur l’éthique du chemin : ne jamais décliner une invitation à prendre un café ou faire une pause. Appliquant cette règle à la lettre, nous nous sommes retrouvés, un jour de Pentecôte, dans un domaine datant de l’époque romaine, en compagnie d’un hôte, charmant mais très bavard, qui affirmait être un descendant de Charlemagne… Nous n’avions pu prendre la route qu’à midi, sous un soleil de plomb. On dit souvent que le vrai chemin de Compostelle se fait seul et d’une traite. C’est l’expérience la plus radicale. Mais je revendique ce chemin dégusté petit à petit. Le Chemin est généreux : il donne à tous ceux qui l’empruntent, quels que soient le nombre de jours ou de kilomètres parcourus. L’important, c’est la disponibilité intérieure : marcher sur le chemin, c’est accepter de partir à la rencontre de soi-même à travers la rencontre des autres. La marche me ramène à l’échelle humaine de ma propre vie. Elle me reconnecte avec mon souffle, le rythme fondamental de mon pas. Nous ne mesurons pas la violence sournoise de notre mode de vie : nous ne nous respectons pas en allant trop vite. Sur le chemin, on ne triche pas : si on force indûment, notre corps nous rappelle à l’ordre… Le Camino m’a rendu moins dupe de mon emploi du temps, de mes « urgences » qui n’en sont pas, de mes impatiences professionnelles… Le chemin est lieu de vérité et de simplicité : pour avancer, il suffit de mettre un pied devant l’autre. l Seul sur le chemin ESCP Europe Magazine N° 127 - Novembre 2009

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