ESCP Europe Alumni Magazine - n°127 - Novembre 2009 - 18

Focus Du luxe aux luxes Par Pierre-François LE LOUET [97] « D.R. Le luxe a toujours été pluriel. Qu’il y a-t-il de commun entre un déodorant vendu dans un magasin duty free quelque part en Colombie et une commande spéciale des ateliers Hermès ? C’est par commodité qu’on dit « le luxe », mais je préfère toujours penser aux luxes ». Ainsi s’exprime Pierre-François, Président de NellyRody Trendlab à Paris et au Japon. Il se risque ici au difficile exercice de prospective pour ce secteur car les codes ont changé. Le luxe a une intensité variable selon les styles, les marques, les modes, même si ces trois composantes sont toujours présentes, dans tout geste de conception, de réalisation et de diffusion. Notre époque, si riche en bouleversements et en difficultés aussi, incite à mieux les comprendre pour expliquer leurs variations. font. On peut ne pas le voir, on peut ne pas savoir ce qu’est l’histoire d’une marque, mais toujours s’il y a luxe, cette histoire se sent et s’éprouve, elle affleure. Même une marque nouvelle exprime et reconnaît ses différentes influences : la nouveauté réactualise toujours quelque chose. Les très grands créateurs savent que la citation, l’emprunt, le déplacement ne sont pas une réalisation affaiblie, mais tout au contraire le plus haut degré de l’expression et de l’accomplissement artistique. Créer, en ce sens, c’est incorporer. Souvenons-nous du sens profond de ce que dit l’artiste : « Je ne cherche pas, je trouve ». Acte social et intimité Savoir-faire Une première composante est patrimoniale. Un style, un produit de luxe est le résultat d’une accumulation préservée de savoir-faire uniques, transmis par la passion de ceux qui Une deuxième composante est tramée des jeux de l’apparence, des jeux de miroirs, et de toutes les illusions de l’ostentation. C’est le luxe qui signifie parce qu’il peut circuler de regard en regard, c’est le luxe comme acte et statement social. Il est souvent perçu comme un peu brutal, un peu fort. Parce qu’il ne reflète que la réalité de ce qu’est la vie sociale : il ne la change pas, il la stylise et l’emblématise. Le luxe est ainsi un coup de force, qui sans cesse déclasse et reclasse les identités, les catégories, les cadres sociaux de la vie collective. Une troisième composante pose et modifie sans cesse la question de l’intime. Le luxe est aussi une relation profonde à soi, à la construction de soi par soi. C’est le luxe de l’allure, de la discrétion, de la maîtrise des implicites. Ce luxe là est une petite chose fragile et évanescente. C’est le luxe de l’instant, du moment, dont le produit lui-même n’est que la trace. Un instant unique CP : Maison&Objet / NellyRodi Mais beaucoup d’évolutions ont lieu aujourd’hui. Tout d’abord, il est devenu parfaitement vain de dissocier le produit de son univers d’expérience. Un produit est acheté dans un contexte, pour soi ou pour autrui, dans cette ville, dans ce lieu, à cet endroit, à cette occasion. L’achat, le produit, et l’événement ne font plus qu’un. Un acte d’achat réussi doit pouvoir être raconté, disposer de son story telling. Dans le point de vente notamment, il faut qu’il se passe quelque chose. Sans expérience, le client redevient un simple acheteur, et de plus en plus, passera son chemin. Le point de vente, le moment de la vente, doivent devenir qualifiables : le prix et la quantité dépensée doivent pouvoir être compensés par une multiplication de qualités. Il est devenu parfaitement vain de dissocier le produit de son univers d’expérience. ESCP Europe Magazine N° 127 - Novembre 2009

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