ESCP-EAP Mag - n°119 - Juillet 2008 - 38

Vie du réseau EUROPE DE L’EST Par Thierry BREUILLAC [73] Les Européens face à la Russie… Le 17 mars dernier, nous étions une centaine de participants à écouter Hubert Védrine (14 ans à la présidence de la République et Ministre des Affaires Étrangères de 1997 à 2002). Voici une synthèse de son intervention. P our H. Védrine, les Occidentaux se sont lourdement trompés dans les années 90 en pensant que la Russie allait devenir du jour au lendemain une économie de marché et une démocratie selon le modèle occidental. Cette vision s’appuyait sur la croyance très forte dans l’émergence d’un monde nouveau après la chute du mur de Berlin et oubliait que la démocratie s’est installée très lentement en Europe, avec des avancées et des reculs, alors que la Russie n’avait connu que des formes de despotisme et jamais de véritable économie de marché. Si M. Gorbatchev et B. Eltsine n’ont pratiquement aucune popularité en Russie, contrairement à leur image en Occident, V. Poutine a pratiquement toujours eu 70 % de popularité en Russie. Quand M. Khodorovski a été mis en prison, la majorité des Russes ont pensé : « On met enfin les voleurs en prison ». Il serait surprenant que le « poutinisme » ne dure pas longtemps. C’est vrai à l’intérieur avec une Russie dans une situation comparable à celle de la France des années 1950, en pleine reconstruction, et à l’extérieur où le message est « La Russie est toujours là ». Hubert Védrine, expert de la question russe. Il ne s’agit pas d’un retour à la guerre froide avec un affrontement de 2 systèmes : au contraire, la Russie veut reconquérir une place dans le système. Elle n’échappera pas à la modernisation économique et politique mais, à l’inverse de ce qui s’est passé du 16ème au 20ème siècle, les changements ne s’y feront plus sous la pression des Européens et des Américains. Sa modernisation se fera lentement, non pas à cause de la pression extérieure mais suite à des évolutions internes, même si dans un domaine comme l’économie nous ne savons pas comment cela se fera. Les États européens n’ont pas de position unifiée envers la Russie. Il y a le poids de l’Histoire et le fait que l’Europe ne s’est pas construite sur une vision commune de la politique extérieure, laquelle a toujours été repoussée. On ne peut toujours pas parler d’Europe au singulier, plusieurs sensibilités coexistant. Il y a les pays pragmatiques, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, et de l’autre côté des pays avec une expérience historique différente qui sont beaucoup plus vigilants. Il y a une divergence d’approche entre ces 2 groupes alors qu’il faudrait au contraire une politique commune. Ceci se retrouve clairement sur la politique énergétique où la question russe est incontournable. Est-il possible d’avoir une politique commune d’achat de gaz ? On ne sait pas. Face aux USA hyperpuissants mais pas infaillibles, à la Russie qui est de retour et à la Chine qui monte en puissance, le vrai problème est la place de l’Europe. Il y a 2 écoles à propos de la Russie à Washington : - Les pragmatiques comme B. Clinton, qui était suivi par J. Chirac et G. Schröder. - Les tenants d’une ligne dure vis à vis de la Russie. Angoissés par la possibilité d’une alliance entre la Chine et la Russie, ils veulent une politique de refoulement, pensant que les USA doivent intervenir partout dans l’ancien monde soviétique, en soutenant la Pologne, les pays du Caucase… Si la ligne pragmatique l’emporte, les dirigeants de ces pays seront inquiets. Les USA s’inquiètent qu’il puisse y avoir une politique énergétique européenne. De manière générale, ils se méfient d’un monde multipolaire et ne voient pas dans une Europe forte DR ESCP-EAP MAGAZINE N° 119 - Juillet 2008

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