ESCP-EAP Mag - n°119 - Juillet 2008 - 15

Focus Business Un pied dans la vigne Par Erwan FAIVELEY [03] M ême si le vin français reste la référence mondiale et s’il s’exporte, tout n’est pas toujours rose pour celui qui se lance dans l’aventure viticole mais la passion le stimule. Récit. Début 2005, mon père ne pouvant plus assu rer la direction du domaine familial éponyme, situé à Nuits-Saint-Georges en Bourgogne, je décide, à 25 ans, de le reprendre et je deviens ainsi la septième génération à diriger cette entreprise presque bicentenaire. Un métier aux multiples facettes À 25 ans, je reprends la direction du domaine familial éponyme. La viticulture est un métier passionnant. Il faut être à la fois agriculteur, gestionnaire, manager, communicant, ambassadeur… dans un environnement à la fois figé et aussi en pleine évolution. Ce secteur correspond bien aux exigences de l’entreprise familiale : le turn- over y est faible. Les hommes font en effet souvent carrière dans une ou deux maisons car le sentiment d’appartenance y est très fort. En tant que dirigeant, c’est également un très grand avantage car les décisions se prennent vite, les actionnaires étant très soudés. Enfin, notre horizon est très lointain : il faut environ quarante ans pour amortir une vigne en Bourgogne Mais les paradoxes sont au rendez-vous. La viticulture française est un secteur économique à deux vitesses. La campagne 2006 est terminée dans le Bordelais et en Bourgogne. Les grands châteaux n’ont jamais été aussi chers, ils ne se sont jamais aussi bien vendus. Bonne nouvelle ! Et pourtant, au même moment, la décision d’arracher plusieurs dizaines de milliers d’hectares vient d’être prise à Bruxelles. Tel est le paradoxe de la viticulture française : alors que certaines régions françaises n’ont plus de vin à vendre, le reste du secteur n’arrive pas à sortir d’une crise commencée depuis trop longtemps. DR production structurelle, résultante de plantations massives émanant des pays du nouveau monde. Si au départ, les débouchés pour ces vins ont été les consommateurs existants, au détriment des vins de « l’ancien monde », petit à petit de nouveaux marché ont été défrichés. Ainsi, le vin s’est démocratisé dans le monde entier, augmentant le nombre de consommateurs de vin de façon exponentielle. Mais si le nombre de consommateurs a explosé ces dernières années, la production des grands vins français n’a pas changé. Encadrées par une législation très stricte, les appellations ne sont pas extensibles. Conséquence logique de cette pression de la demande : il se développe aujourd’hui une nouvelle catégorie d’acheteurs considérant les grands vins comme des placements financiers. Le revers de la médaille est que les grands Bordeaux et les grands Bourgogne sont de plus en plus victimes de spéculations, en témoignent l’essor incroyable des ventes aux enchères de vins. Nombre d’inconnues pour le futur L’exportation, un creuset de croissance durable. Le monde des grands vins est aujourd’hui en train de changer de dimension. Leur demande n’a jamais été aussi importante, et c’est la première fois depuis 25 ans que production et consommation mondiales de vin s’équilibrent. Ces trois dernières décennies ont été marquées par une sur- Une concentration de la profession sera à terme inéluctable. Aujourd’hui, il est bien plus facile de produire du bon vin que de le vendre. Cela nécessite une marque, une équipe, un réseau de distribution. Devant la baisse de la consommation française, le développement se fera par l’étranger, et seules les structures dimensionnées pourront survivre. De plus, le cadre réglementaire se complexifie chaque jour. L’émergence de lois très coercitives et autres principes de précaution pourraient à terme tuer la spécificité française. Devant le cumul de normes agricoles à respecter, de contrôles sanitaires à établir, seules les plus grosses exploitations pourront remplir à terme le cahier des charges. D’autre part, le consommateur devient de plus en plus exigeant sur la qualité du vin comme sur la philosophie du producteur. Incontestablement, nous nous dirigeons vers une agriculture propre, biologique, respectueuse de l’environnement. Qui s’en plaindra ? Mais que de contraintes… auxquelles s’ajoute encore la variable climatique. Les problèmes, les interrogations et les exigences s’amoncellent, mais n’est-ce pas aussi ce qui rend le métier passionnant ? l DR ESCP-EAP MAGAZINE N° 119 - Juillet 2008

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