Confluence, le magazine de l’Agence de l’eau Seine-Normandie - N°65 - Septembre 2017 - 34

PORTRAIT

« C'est
au contact
de la terre que
je me régénère
et que je trouve
les bonnes
cadences
dans ce monde
frénétique. »

rêle en apparence, Pierre
Rabhi sait se faire entendre. « Ce que nous infligeons à la nature en empoisonnant la terre et en polluant
l'eau, nous nous l'infligeons à nousmêmes, car l'homme est en partie de
l'eau », énonce-t-il d'une voix douce
mais déterminée. La conscience de
la nécessité de préserver cette ressource est ancrée dans ses origines. Né
en 1938 dans la petite oasis de Kenadsa, au
cœur du Sahara, dans l'Ouest algérien, Pierre
Rabhi s'est installé en France pendant la
guerre d'Algérie. À 22 ans, ouvrier spécialisé
dans une usine en banlieue parisienne, il
commence à réfléchir à la condition humaine. « Un être humain doit-il troquer son
existence contre un salaire de misère et un métier inintéressant, enfermé en attendant la
retraite et la mort ? » s'interroge-t-il, alors que
l'économie tourne à plein régime, en pleines
Trente Glorieuses. À contre-courant, il entreprend un retour à la terre avec Michèle,
sa femme, en 1960, alors que l'exode rural
vide les campagnes.

Vivre une sobriété heureuse
« Nous avons trouvé une petite ferme isolée au
cœur d'une nature préservée, en Ardèche, raconte-t-il. Il n'y avait pas l'électricité ni le téléphone, la terre était rocailleuse et l'eau rare,
mais c'était beau ! Nous avons décidé d'y travailler la terre et de vivre une sobriété heureuse,
loin de la surabondance qui tue cette société dite
moderne où les gens ont tout mais ne sont pas
heureux et consomment toujours plus d'anxiolytiques. C'est au contact de la terre que je me
régénère et que je trouve les bonnes cadences
dans ce monde frénétique où il faut toujours
gagner du temps. » Pour apprendre le métier,
il devient d'abord ouvrier agricole. « J'ai découvert tout un arsenal chimique : engrais,
pesticides, hormones... On empoisonne la terre
et on produit des denrées empoisonnées. J'ai
refusé cette voie. La terre nous nourrit et, si
nous n'en prenons pas soin, nous mourrons »,
affirme Pierre Rabhi, qui commence à élever
un petit troupeau de chèvres et à cultiver en
34

- SEPTEMBRE 2017

Pierre Rabhi

PIERRE
RABHI
À 79 ans, le paysan
philosophe, pionnier
de l'agroécologie, cultive
son jardin à Montchamp,
en Ardèche, et sensibilise
la population à l'urgence
écologique.

Trois dates qui ont marqué
son parcours

1938

Il naît à Kenadsa, en Algérie. Sa mère
meurt quand il a 4 ans. À 5 ans son père,
forgeron, confie son éducation à un couple
de colons français.

1960

Il s'installe avec sa femme dans une ferme
à Montchamp, au sud de l'Ardèche.

bio des céréales, des fruits et des légumes,
en s'inspirant des lois de la nature et en forgeant une philosophie opposée à l'agriculture intensive. « L'agriculture écologique (ou
agroécologie) envisage le milieu dans sa globalité, décrit-il. La terre est l'élément majeur. On
choisit les variétés les mieux adaptées au territoire, pour nourrir la terre on fabrique du compost riche en micro-organismes, en recyclant les
déchets organiques et de la paille fermentée :
grâce à cet humus, le sol est plus riche et capable
de mieux retenir l'eau. On économise aussi cette
ressource en tirant parti de l'eau de pluie, stockée dans des citernes, des digues ou des microbarrages qui luttent en même temps contre
l'érosion des sols. On reboise, on plante des
haies, on réhabilite les savoir-faire traditionnels, on utilise des traitements phytosanitaires
naturels pour soigner les plantes... » Pierre
Rabhi est convaincu que l'agroécologie est
la seule capable de nourrir la planète. Aujourd'hui, il publie des best-sellers, sillonne
la France pour donner des conférences et
regarde pousser ce qu'il a semé : le mouvement Colibris, notamment, créé en 2007
afin de soutenir les Français mobilisés au
quotidien pour construire une société plus
écologique et humaniste, compte aujourd'hui quelque 250 000 sympathisants.
De quoi réjouir le paysan philosophe.

1981

Au Sahel burkinabé, il initie à l'agroécologie
des agriculteurs confrontés à la
désertification. Son ONG Terre et Humanisme
transmet aujourd'hui ce savoir-faire
en France, en Afrique de l'Ouest,
sur le pourtour méditerranéen et à Cuba
pour permettre aux plus pauvres d'accéder
à l'autonomie alimentaire.

Laurène Champalle

Lecture
Pour en finir avec la faim dans le monde et Les Semences,
un patrimoine vital en voie de disparition, parus en avril
aux Presses du Châtelet, sont les deux derniers livres
de Pierre Rabhi, coécrits avec Juliette Duquesne.

Table des matières de la publication Confluence, le magazine de l’Agence de l’eau Seine-Normandie - N°65 - Septembre 2017