Confluence, le magazine de l’Agence de l’eau Seine-Normandie - N°59 - Août 2015 - 34

PORTRAIT

« Lorsque j'aurai
acquis la sagesse
du voyage
immobile, je crois
que j'aurai fait
le grand tour. »

nfatigable. En 1989 déjà, à bord
de son deux-mâts l'Antarctica,
l'explorateur bravait la glace
pour étudier le rôle des régions
polaires dans la machine climatique. Le dernier né de l'inventeur, le Polar Pod, a changé de
forme, mais pas de vocation.
Conçu pour dériver pendant trois
ans dans le courant circumpolaire,
qui coule d'ouest en est autour de
l'Antarctique, il n'offrira aucune prise
aux vagues des « cinquantièmes hurlants ». Et pour cause : il est vertical, une
vraie plateforme dérivante de 120 mètres de
haut, dont 80 mètres immergés.

Ses idées d'expéditions, Jean-Louis Étienne
les puise dans des équations simples et
concrètes : pour résoudre un problème, il suffit de prendre la somme des solutions de
chaque sous-problème. Voilà. Il n'en faut pas
plus à ce passionné de construction pour imaginer un ovni comme le Polar Pod, complètement adapté à l'environnement auquel il se
destine. Il y a aussi l'excitation, qui survient
après chaque expédition, à l'idée de bâtir un
nouveau projet. Étrangement, on a toujours
une petite idée du périmètre - pour ne pas dire
du rayon - de sa prochaine aventure. Les
cercles polaires. Pourtant, pas de prédisposition au froid chez le petit garçon du Tarn. Alors
pourquoi les pôles ? À cette question, qu'on lui
pose depuis trente ans, il n'a toujours pas de
réponse. La timidité peut-être, la recherche de
l'intériorité, sûrement. Pas de quête de solitude
en tout cas. Malgré ses exploits en solitaire, il
a toujours aimé l'esprit d'équipe, qu'elle soit de
nature médicale - on l'appelle encore Dr JeanLouis Étienne - ou sportive comme lors de sa
course autour du monde avec Éric Tabarly
entre 1977 et 1978. Beaucoup de rencontres
l'ont marqué : des professeurs, des supérieurs,
des personnalités, des anonymes... Tous ceux
qui « inventent leur vie ».
C'est le cas de l'équipage du Polar Pod, résolu à
mener à bien la mission qui lui a été confiée
par la communauté scientifique internationale : recueillir les données nécessaires à l'affinage des modèles climatiques. Il faut dire que
les eaux froides de l'océan Austral constituent
l'un des principaux puits de carbone de la pla34

AOÛT 2015

Jean - Louis Étienne
EXPLORATEUR

JEAN-LOUIS
ÉTIENNE
L'explorateur de 68 ans
repartira bientôt à bord d'un
vaisseau dérivant de son
invention. Cette fois, direction
l'Antarctique, pour effectuer
des mesures in situ inédites
en plein océan Austral.
Un nouveau projet fou pour
ce scientifique atypique.

Trois tournants dans sa vie

Juin 1968

C'est le coup de foudre pour la chirurgie
lorsque le chef de service lui demande de
l'aider pour une intervention sur la main,
parce que l'interne attendu est introuvable.

11 mai 1986

L'explorateur atteint le pôle Nord, à pied
et en solitaire. C'est décidé : il abandonne
la médecine et se consacrera dorénavant
à l'organisation d'expéditions.

Autour de 2014

La paternité prend une nouvelle dimension.
Pas de nouvel enfant, non, juste une plus
grande émotion lorsqu'il serre dans ses bras
ses deux garçons Ulysse et Eliott.

nète. Tant qu'à être sur place, l'équipage procédera également à un inventaire acoustique
inédit de la faune océanique et à la validation
de données satellites sur le terrain. Le grand
départ est prévu pour 2017 et Jean-Louis
Étienne sera de la partie. Comme il le dit si
bien, il a aussi inventé le Polar Pod pour pouvoir
l'essayer !
Là-bas, il redécouvrira le vrai sens de l'intime
et de la rencontre avec soi. Avec le genre humain aussi, qui laisse des traces que l'on peine
à effacer. Il y a le continent de plastique qui
choque, et c'est bien normal. Mais il y a les
petites choses également. Comme les résidus
de pesticides trouvés dans la graisse des ours
polaires. Le visible donne le signal d'alarme,
mais le détail invisible tue. La faute à l'homme,
ce « mutant super-doué » prodige d'ingéniosité
mais bien malhabile dans les relations interespèces. Il faut cependant rester optimiste. Et
surtout persévérer, partout, dans tout, et se
donner les moyens d'atteindre son but. Le bout
du monde n'est pas obligatoire. L'explorateur
l'avoue, il est devenu contemplatif. Trouve-t-il
l'inspiration dans les cabanes de bois et de
verre qu'il construit de ses mains ? En tout cas,
il écrit, il contemple la nature et même dans
sa résidence parisienne, il pense à regarder le
ciel. « Lorsque j'aurai acquis la sagesse du voyage
immobile, je crois que j'aurai fait le grand tour. »
CAMILLE AULAS

Lecture
Persévérer, on ne repousse pas ses limites,
par Jean-Louis Étienne paru aux éditions Paulsen Mars 2015.

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