Revue LGDJ - Revue des contrats n° 2-2014 - 15

Théorie générale des sources

de moderniser le droit des obligations fait pratiquement l'objet d'un
consensus, depuis de longues années. À quoi bon, dans ces conditions,
réaliser une évaluation détaillée, longue et coûteuse pour démontrer
ce qui est évident ? Cette réponse de bon sens a sans doute sa part
de vérité. Mais elle ne suffit pas. Car, en vérité, le phénomène a des
causes institutionnelles plus profondes. Dans son rapport public pour
2012, le Conseil d'État relevait ainsi que, « d'une façon générale (...),
même si les progrès notables sont à mettre au crédit des administrations, la qualité des études d'impact  (...) doit encore être sensiblement améliorée. » « Ce qui, compte tenu de la retenue qui caractérise
habituellement le Palais-Royal, revient à souligner la médiocrité d'une
bonne partie des études d'impact qui précèdent l'adoption des lois et
le fait qu'elles restent le plus souvent une formalité »(57) .
En réalité, si l'on met à part la nouveauté du procédé qui peut encore
apparaître en phase de « rodage », plusieurs éléments contribuent à
expliquer l'insuffisante qualité des travaux réalisés.
Le premier tient à l'auteur des études d'impact et au caractère unilatéral de leur élaboration. Tandis que certains pays ont confié les
missions d'évaluation à des organismes extérieurs indépendants(58) ,
en France, l'étude d'impact est réalisée par « le ministre principalement responsable du projet de réforme  »(59) , assisté, il est vrai, par
les services du secrétariat général du Gouvernement afin notamment
de « déterminer les concours susceptibles d'être recherchés auprès
d'autres administrations pour contribuer aux travaux d'évaluation
préalable »(60) . Comme on l'a noté, c'est donc « l'auteur du projet qui
est à la fois juge et partie »(61) , ce qui explique que l'étude d'impact
n'est encore très souvent qu'un simple exercice de style consistant à justifier le projet(62) . Il faut aussi compter, pour comprendre
le phénomène, sur le caractère très théorique des sanctions mises
en place. Jusqu'ici, la conférence des présidents n'a jamais refusé
d'inscrire à l'ordre du jour un projet de loi dont l'étude d'impact serait
absente ou insuffisante et, en vérité, le caractère éminemment politique de cet organe fait de ce refus une « sanction structurellement
illusoire  »(63) . Quant au Conseil constitutionnel, il a sensiblement
nuancé la portée des contraintes pesant sur les auteurs de l'étude

(57) Y. Jégouzo, « L'étude d'impact : formalité ou garantie de la qualité des lois ? » :
AJDA 2012, p. 1425.
(58) C'est le cas par exemple aux Pays-Bas.

d'impact en décidant que les prescriptions de l'article 8 de la loi organique relatives aux différentes rubriques qui doivent figurer dans ce
document ne s'imposent que si elles trouvent à s'appliquer compte
tenu de l'objet des dispositions du projet de loi en cause(64) , ce qui,
suivant le commentaire officiel de la décision n°  2009-579 DC du
9  avril 2009 relative à la loi organique prise pour l'application des
articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, permet d'éviter plus généralement des « interprétations excessives de nature à entraver le droit
du Gouvernement de déposer un projet de loi »(65) . Par ailleurs, cela a
été souligné(66) , les capacités de contre-expertise du Parlement sont
extrêmement limitées compte tenu des moyens assez faibles dont
disposent les commissions parlementaires à cet égard.
13. À tout cela s'ajoute, pour finir, le régime spécifique et allégé applicable aux études d'impact qui accompagnent les projets de lois d'habilitation. En effet, suivant le Conseil constitutionnel, si un tel projet
doit effectivement être accompagné au moment de son dépôt d'une
étude d'impact, les dispositions de la loi organique n°  2009-403 du
9 avril 2009 doivent être interprétées à la lumière de la jurisprudence
constante développée sur le recours aux ordonnances de l'article 38
de la Constitution(67) . Suivant celle-ci, ce texte fait «  obligation au
Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose
de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention »(68) . Cependant, l'article 38 « ne lui impose pas pour autant
de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation  »(69) . L'introduction dans la donne
constitutionnelle des études d'impact n'y change rien. Sous l'effet de
cette dérogation jurisprudentielle favorable au Gouvernement(70) , à
qui elle laisse les mains très libres, l'étude d'impact jointe au projet de
loi d'habilitation s'en trouve « largement minorée », qui devient ainsi,
dans le cadre de l'article 38 de la Constitution, un « exercice purement formel »(71) . C'est aussi la raison pour laquelle l'étude d'impact
examinée s'ouvre sur l'avertissement général suivant : « Eu égard à
la spécificité des dispositions portant habilitation du Gouvernement
à légiférer par ordonnances sur le fondement de l'article  38 de la
Constitution, les impacts attendus seront développés dans la mesure
du possible »(72) .
L'on comprend bien les raisons politiques et institutionnelles qui
expliquent la position du Conseil constitutionnel  : l'étude d'impact

(59) Suivant la circulaire du 15 avril 2009.
(60) Ibid.
(61) S. Caudal, « Études d'impact législatives et études d'impact environnementales : éléments de comparaison », préc., p. 29.

(64) Cons. const., 9 avr. 2009, n° 2009-579 DC, préc., consid. n° 11. Suivant le commentaire officiel de la décision, « le Conseil a ainsi réservé la faculté que l'étude
d'impact puisse contenir des rubriques "état néant". »

(62) Certes, le Conseil d'État exerce un contrôle sur le contenu des études
d'impact au titre de ses fonctions consultatives. À ce titre, il veille à la sincérité
et au caractère complet des études d'impact et il peut être amené à sanctionner
le non-respect par le Gouvernement de ses obligations en lui adressant une note
d'observation conseillant de rectifier l'étude avant le dépôt du projet, en décidant
de surseoir à l'examen au fond de son avis dans l'attente d'une régularisation ou,
en cas d'absence d'étude ou de carence grave, en rejetant purement et simplement le projet de loi (rappelant tous ces points, J.-M. Sauvé, « Le rôle du Conseil
d'État dans la mise en œuvre des études d'impact », in L'impact du droit : l'évaluation économique comparée de la norme juridique, Université Paris-Ouest Nanterre,
29 nov. 2010, accessible en ligne sur le site du Conseil d'État). Cependant, la difficulté « réside dans la non-publication - sauf exception - des avis du Conseil d'État,
et donc dans l'absence de transparence » du contrôle (S. Caudal, « Études d'impact
législatives et études d'impact environnementales  : éléments de comparaison  »,
préc., p. 31).

(65) Par ailleurs, assouplissement supplémentaire, le Conseil constitutionnel a
ajouté que, dans le cas où un projet de loi serait déposé sans être accompagné
d'une étude d'impact satisfaisant en tout ou partie aux prescriptions de l'article 8
de la loi organique, il « apprécierait, le cas échéant, le respect de ces dispositions
(...) au regard des exigences de continuité de la vie de la Nation » (Cons. const.,
9 avr. 2009, n° 2009-579 DC, préc., consid. n° 17).

(63) G. Faure, Les études d'impact des projets de loi : premier bilan de la réforme,
op. cit., p. 72. V. aussi le témoignage en ce sens de J. Maillot, in « Regards parlementaires sur les études d'impact accompagnant les projets de loi », in M. Philip-Gay
(dir.), Les études d'impact accompagnant les projets de loi, op. cit., p.  111 et  s.,
spéc. p. 116.

(70) Plus généralement, sur l'idée que l'étude d'impact sert plutôt les intérêts du
Gouvernement, B.-L. Combrade, « À qui profite l'étude d'impact ? », préc.

(66) Examinant les dispositifs existants (le comité d'évaluation et de contrôle des
politiques publiques de l'Assemblée nationale est chargé de donner son avis sur
les études d'impact) et soulignant leurs faiblesses, B.-L. Combrade, « À qui profite
l'étude d'impact ? », préc.
(67) Cons. const., 9 avr. 2009, n° 2009-579 DC, préc., consid. n° 21.
(68) Cons. const., 12 janv. 1977, n° 77-72 DC - Cons. const., 2 déc. 2004, n° 2004-506.
(69) Cons. const., 16 déc. 1998, n° 99-421 DC - Cons. const., 26 juin 2003, n° 2003473 DC.

(71) G. Protière, « L'exception à l'obligation d'études d'impact », préc., p. 68.
(72) Étude d'impact, 26 nov. 2013, p. 12.

Revue des contRats 2 - Juillet 2014

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