Revue LGDJ - Revue des contrats n° 2-2014 - 14

Théorie générale des sources

En guise d'expertise rigoureuse, c'est un peu court... En réalité, l'on
ne voit guère de différence entre le contenu de cette étude d'impact
et un traditionnel exposé des motifs visant à convaincre de la nécessité de la réforme. Et l'on ne discerne pas, dans ces développements,
le fruit du travail de longue haleine d'une équipe de professionnels
de l'évaluation législative, pas plus que ne s'y trouvent recensés les
points de vue variés des principaux acteurs de la réforme. Le reste de
l'étude ne dément pas cette impression.
9. La deuxième rubrique de l'étude d'impact, intitulée «  objectif  »,
consiste en effet en une présentation très superficielle des règles
nouvelles susceptibles d'être adoptées par ordonnance. Les parlementaires désireux d'en savoir davantage sur le contenu et l'opportunité des innovations envisagées n'apprendront fondamentalement
rien de plus que ce qui figure déjà dans l'exposé des motifs et le texte
du projet de loi. On examinera cependant avec intérêt trois tableaux
indiquant qu'en 2012, le nombre de «  demandes nouvelles auprès
des juridictions relatives à la seule question de l'exécution d'une promesse unilatérale de vente, d'un pacte de préférence ou d'un compromis de vente » est de 2 995 ; que celui des « demandes nouvelles
relatives à la seule question de la nullité du contrat ou d'une clause
du contrat (uniquement pour les contrats de prêt d'argent, créditbail, cautionnement, prestations de services, contrats d'assurances
et divers [sic  !]  »)(48) est de 3  980  ; qu'enfin celui des «  demandes
nouvelles relatives à l'exécution d'un contrat (uniquement pour les
contrats portant sur certaines prestations de services à l'exclusion
des contrats de vente, d'assurance et d'intermédiaire, de travaux
de construction, de transport, des baux d'habitation, professionnels ou ruraux qui représentent un nombre bien plus important de
contrats(49) ) »(50) est de 7 450. Outre que ces données chiffrées sont
livrées à l'état brut, sans aucun commentaire ni mise en perspective,
les sources dont elles émanent ne sont pas citées, ce qui ne permet
aucune vérification, ni discussion... En revanche, les parlementaires
seront intéressés d'apprendre que, suivant la Fédération française
des entreprises de vente à distance, « en 2013, 69 % des Français ont
acheté à distance, la France figurant au 6e rang du commerce en ligne
dans le monde » et que « dans un tel contexte, le maintien en l'état de
textes bicentenaires pose nécessairement question »(51) , sans toutefois que l'étude d'impact juge nécessaire de préciser que les contrats
à distance font l'objet d'une réglementation moderne dans le cadre
du Code de la consommation et que les dispositions du Code civil
relatives à la preuve électronique ne datent pas de 1804.
10. La troisième rubrique, relative aux « options », n'en expose qu'une :
« Réformer le droit des obligations » : « S'agissant de réformer le droit
commun des obligations, toute solution non normative est exclue
et serait inappropriée »(52) . On appréciera l'intérêt de l'analyse... La
rubrique n'en est pas moins prometteuse, car elle aborde la question
du recours à l'ordonnance. Les lecteurs avides d'en découvrir les raisons resteront cependant sur leur faim : « Habiliter le Gouvernement
à procéder par voie d'ordonnance permettrait notamment au législateur de s'attacher à un pan tout aussi important du droit des obligations, le droit de la responsabilité civile, qui repose actuellement
sur une quinzaine d'articles, complétés par une jurisprudence plétho-

rique, alors même qu'il régit, quotidiennement, le sort des victimes de
dommages de toutes natures »(53) . Si l'on comprend bien, la voie de
l'ordonnance s'imposerait pour réformer non pas tant le droit commun des contrats, des quasi-contrats, du régime de l'obligation et de
la preuve mais celui de la responsabilité civile. Voici qui étonne, car
non seulement, jusqu'à ce stade de l'étude d'impact, le droit de la
responsabilité civile n'avait pas été évoqué, mais de plus l'on ne voit
guère pourquoi cette matière supposerait, spécialement, de recourir à la procédure de l'article 38 de la Constitution. Le raisonnement
déconcerte d'autant plus que l'exposé des motifs précise pour sa part
que « les textes du deuxième sous-titre du titre III relatif à la responsabilité civile n'entrent toutefois pas dans le champ de l'habilitation,
de telle sorte que ce sous-titre aura simplement vocation à accueillir,
à droit constant, les textes du chapitre II ["Des délits et quasi-délits"]
du titre IV »(54) . Le propos ne brille donc pas par sa cohérence.
11. La quatrième rubrique, intitulée « impacts », comprend deux sousrubriques «  sans objet  », celles relatives aux impacts sur «  l'égalité
entre les femmes et les hommes » et sur « la situation des personnes
handicapées », et une rubrique « articulation du projet avec le droit
européen  ». Sur ce dernier point, l'étude, revenant sur la proposition de règlement européen relative à la vente, reprend en réalité
des éléments déjà abordés au titre de la portée internationale de la
réforme pour souligner que si le règlement devait être adopté, «  la
modernisation du droit français des obligations n'en demeurerait pas
moins nécessaire et même indispensable, puisque le droit interne, du
fait du système optionnel envisagé par la Commission européenne,
viendra en concurrence directe avec le droit européen »(55) . Quoi qu'il
en soit, ceux qui voient d'un mauvais œil les initiatives prises par
la Commission dans le droit commun des contrats seront heureux
d'apprendre que, suivant l'étude d'impact, « les textes susceptibles
d'être élaborés par le Gouvernement dûment habilité s'inscriront
sans difficulté dans le paysage juridique existant, l'Union européenne
n'ayant pas compétence pour réglementer les échanges intra-nationaux. » Des débats qui ont pu animer cette question, l'étude d'impact
ne dit tout simplement rien. Enfin, la cinquième et dernière rubrique,
relative aux « consultations », est aussi la plus courte. Le document
précise, d'une part, que «  la réforme envisagée n'est soumise à
aucune consultation obligatoire », et que, d'autre part, « l'ampleur de
la réforme proposée justifie une large consultation des professionnels concernés »(56) , sans autre précision.
En définitive, à notre avis, l'étude d'impact examinée se révèle très
décevante. Souvent peu rigoureuse et incomplète, elle est, à certains
égards, incohérente et, sur le terrain des mesures à venir, bien superficielle. Certains des éléments qu'elle contient sont certes dignes
d'intérêt  - ils sont de fait très largement admis  - mais ils auraient
tout aussi bien pu figurer dans un traditionnel exposé des motifs. À
tous ces égards, l'intérêt propre d'un tel document apparaît douteux
et les espoirs démocratiques suscités par cet outil sont désenchantés : l'étude d'impact jointe à un projet de loi d'habilitation n'est pas
un frein, même marginal, à la concentration des pouvoirs que réalise
la délégation de l'article 38 de la Constitution.
12. Reste à en rechercher les raisons. Celle qui vient le plus immédiatement à l'esprit est spécifique à la réforme projetée  : la nécessité

(48) C'est nous qui soulignons.
(49) Mais aucun chiffre n'est fourni.

(53) Ibid.

(50) Étude d'impact, 26 nov. 2013, p. 76-77.

(54) Exposé des motifs, p. 9.

(51) Ibid., p. 78.

(55) Étude d'impact, 26 nov. 2013, p. 80.

(52) Ibid., p. 79.

(56) Ibid., p. 80.

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Revue des contRats 2 - Juillet 2014



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