Revue LGDJ - Revue des contrats n° 2-2014 - 10

Théorie générale des sources

contrats et qui contribuaient ainsi à entretenir l'idée d'une culture
juridique française(4) en la matière.
2. Le Gouvernement(5) a fait le choix mal vécu par le Sénat(6) mais
approuvé par l'Assemblée nationale(7) , de procéder par ordonnance
sur le fondement de l'article  38 de la Constitution. C'est sur cette
méthode que l'on aimerait ici s'arrêter. On le sait, le recours aux
ordonnances, initialement conçu comme une procédure d'exception
au regard de l'équilibre des compétences fixé par la Constitution de
1958(8) , s'est considérablement accru au cours des années 2000(9) , au
point d'être désormais pratiquement perçu comme une procédure
ordinaire. Ainsi, entre 2009 et 2012, les ordonnances ont été à l'origine d'un tiers des textes législatifs publiés(10) et le projet de loi de loi
relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures est
le quatrième texte de simplification du droit par voie d'ordonnance
présenté au cours de la dernière législature. De manière générale, ces
« abus de la législation déléguée »(11) suscitent défiance et inquiétude,
et ce pour deux raisons : d'une part, « ils mettent à mal le sacro-saint
principe de la séparation des pouvoirs puisqu'en concentrant ceux-ci
dans les mains de l'exécutif, ils (...) réalisent une confusion des pouvoirs, une sorte de "dictature" provisoire » ; d'autre part, « ils écartent
la compétence d'assemblées représentatives et délibératives, ainsi
que des procédures de réflexion longues, contradictoires et constructives au profit d'une compétence gouvernementale concentrée et
de procédures plus rapides et hiérarchisées qui ne présentent pas
les mêmes garanties pour les libertés que les procédures parlementaires. La loi (...) devient ici l'œuvre d'un homme ou d'une oligarchie,

(4) Sur l'absence de laquelle : F. Audren et J.-L. Halpérin, La culture juridique française, Entre mythes et réalités, XIXe-XXe siècles, CNRS éditions, 2013, selon qui,
notamment, « l'idée d'une "identité" du droit français de caractère intemporel (...)
est contraire à la réalité historique de l'évolution des règles de droit ainsi que des
formes d'enseignement du droit » (p. 284).
(5) Un choix justifié par sa volonté de « faire avancer les dossiers ». Selon la porteparole du Gouvernement, le président de la République a demandé aux ministres
de « faire en sorte de ne passer par la loi que quand cela est strictement indispensable, et de veiller pendant ce temps-là à faire avancer les dossiers par d'autres
moyens, par des décrets, par des ordonnances » (Le Figaro, 3 janv. 2014).
(6) Suivant sa commission des lois, qui avait supprimé l'article 3 du projet de loi
relatif à la réforme du droit des obligations, le Sénat a refusé, lors de sa séance du
23 janvier 2014, de le rétablir, à 346 voix contre 1.

donc d'une volonté rétrécie »(12) . On comprend, dans ces conditions,
que la dépossession du Parlement, s'agissant de réformer un pan
aussi essentiel du plus symbolique de nos codes, ne se réalise pas
sans heurt, même si le procédé n'est pas inédit(13) et si un certain
fatalisme devant ce dérèglement institutionnel  - «  mieux vaut une
réforme par ordonnance que rien du tout  »  - est aussi perceptible.
Mieux, certains voient dans ce biais le moyen de préserver la cohérence d'ensemble de la «  théorie du contrat  » que «  la discussion
parlementaire risquerait de désarticuler »(14) et rappellent que, d'un
point de vue historique, le Code civil de 1804 n'avait pas non plus été
adopté dans des conditions démocratiques(15) .
3. Dans ce contexte, l'on voudrait contribuer à ce débat sur la
méthode en l'abordant sous un angle un peu particulier  : celui des
rapports entre, d'un côté, le recours aux ordonnances et, de l'autre,
l'obligation faite au Gouvernement d'assortir son projet de loi d'habilitation d'une étude d'impact. Quel est, dans ce contexte précis, l'intérêt d'une telle étude  ? À première vue, il est réel. L'étude d'impact
peut en effet apparaître comme une forme de rempart démocratique
contre les substitutions excessives du pouvoir exécutif aux organes
législatifs, et ce pour deux raisons complémentaires. D'une part, la
réalisation d'une telle étude permet a  priori de mieux informer le
Parlement sur l'opportunité et la portée des réformes à venir, ce qui
peut être interprété comme une façon originale de mieux l'y associer au stade du vote de la loi d'habilitation et de réduire la marge
de manœuvre ultérieure du Gouvernement. D'autre part, sur le fond,
les ordonnances adoptées sur la foi d'une étude d'impact sérieuse
peuvent - à l'image de la loi dans une vue idéale - apparaître comme
étant le fruit non pas de la volonté « rétrécie » d'un chef de bureau
mais d'une discussion approfondie et d'une procédure contradictoire,
menées certes ici de façon anticipée et en dehors de l'hémicycle mais
suivant une méthode de type participative(16) permettant finalement
de refléter les vues divergentes et les intérêts concurrents des principaux acteurs de la réforme entreprise. À suivre cette analyse, l'étude
d'impact jointe au projet habilitant le Gouvernement à réformer le
droit des obligations par ordonnance permettrait donc de nuancer un
peu les regrets de ceux qui considèrent à juste titre - car « décidément, pour faire de bonnes lois, on n'a pas encore inventé mieux que

(7) A.-M. Le Pourhiet, Les ordonnances. La confusion des pouvoirs en droit public
français, Lextenso éditions, 2011, p.  66  : «  Cependant, malgré les protestations,
jamais encore le Parlement n'a repoussé une demande d'habilitation. Tous les projets de loi déposés sous la Ve  République ont été adoptés au besoin en utilisant
l'artillerie du parlementarisme rationalisé. »
(8) Y. Gaudemet, « La loi administrative » : RDP 2006, p. 65 et s., qui précise que
ce mécanisme de « désinvestiture » du législateur a bien failli ne pas voir le jour.
Du même auteur, v. aussi : « Sur l'abus ou sur quelques abus de la législation déléguée », in L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Mélanges en l'honneur
de P. Pactet, Dalloz, 2003, p. 617 et s.
(9) M. Guillaume, « Les ordonnances : tuer ou sauver la loi ? » : Pouvoirs, n° 114,
2005, p. 117 et s., qui rappelle que le rythme s'est accéléré avec la loi n° 2003-591
du 2 juillet 2003 qui comportait à elle seule 32 articles habilitant le Gouvernement
à légiférer par ordonnance dans des domaines épars, certains articles comprenant eux-mêmes plusieurs objets d'habilitation. Rapidement adoptée ensuite, la loi
d'habilitation n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 comptait 60 articles d'habilitation.
Ainsi, « pour la première fois en 2004, le nombre d'ordonnances est supérieur au
nombre de lois (hors lois portant approbation ou traités internationaux) » (p. 120).
(10) Rapp. Sénat n° 288, fait par M. T. Mohamed Soilihi au nom de la commission
des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification
du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, enregistré le 15 janvier 2014, session ordinaire 2013-2014, p. 12, qui relève
encore que le nombre d'ordonnances publiées s'élève à 33 pour 2012, 22 pour
2013, mais qui souligne l'importance quantitative de celles relatives à l'outre-mer.
(11) Y. Gaudemet, « La loi administrative », préc.

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Revue des contRats 2 - Juillet 2014

(12) A.-M. Le Pourhiet, Les ordonnances. La confusion des pouvoirs en droit public
français, op. cit., p. 1-2. Pour une critique, v. encore P. Delvolvé, « L'été des ordonnances » : RFD adm. 2005, p. 909.
(13) Le droit de la filiation (Ord. n° 2005-759, 4 juill. 2005) ou celui des sûretés (Ord.
n° 2006-346, 23 mars 2006) ont déjà été réformés par ordonnances.
(14) Ce qui en dit long sur le peu de confiance accordée à la représentation
nationale.
(15) L. Aynès, « Le nouveau droit des contrats : une affaire de techniciens ? » : Dr. et
patr. 2014, n° 232, Édito. On se souvient en effet que le projet présenté par Portalis
fut rejeté (à une faible majorité de trois voix) par le Corps législatif. Le Premier
consul suspendit alors les travaux sur le code et ne les reprit, sans modifier le
texte du projet, que huit mois après. Dans l'intervalle, l'épuration du Tribunat et la
modification de la procédure par l'arrêté du 11 germinal an X avaient mis un terme
à l'opposition.
(16) Sur les mirages de la démocratie participative, v. notre précédente chronique :
RDC 2011, p. 13.



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